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à’intéréi doivent infpirer ces fujets allégoriques qui offrent une énigme à deviner. Si la figure allégorique offre une très -grande beauté, ce n’eft que par fa beauté qu’elle intéreffe : fi elle n’a pas ce moyen d’attacher le fpeétateur , il fe retire avant d’avoir pris la peine de trouver le mot de l’énigme.

Si l’intérêt ne peut être excité dans toute fa force que par un feul objet , il eft aifé de s’appercevoir qu’on l’aftbiblit en proportion qu’on multiplie davantage les figures. Accompagnez la Madeleine de le Brun d’une figure qui fera le perfonnage de confolatrice ; mon attention , & par conftquent mon intérêt , fe partagent entre la confolatrice & l’affligée ; & comme mon attention n’aura plus un objet unique, elle fera par conféquent plus foible, & l’intérêt ne manquera pas de s’ affaiblir avec elle. Au lieu d’une confolatrice , placez-en plufieurs ; mon attention eft encore plus partagée , & mon intérêt plus foible.

Mais l’art a , dira-t-on , des moyens d’appeller fur-tout au principal objet. L’art reconnaît donc que c’eft par un feul objet qu’il peut exercer fur moi toute fa puiffance ; mais au lieu de me rappeller à ce feul objet par des moyens incertains , il en eft un plus affuré , c’eft de ne me préfenter que lui.

L’art, j’en conviens , auroit trop à perdre , s’il fe bomoit toujours à une feule figure ; mais il gagnera beaucoup en fuivant la loi que fe font en général impofée les anciens & Raphaël^ d’épargner autant qu’il eft poffible les figures, de dire beaucoup avec peu , & d’indiquer , quand il le faut, un grand nombre défigures, en n’en montrant qu’un petit nombre. J’entre dans une très -ncmbreufe affemblée : aucun objet particulier ne me frappe ; je ne vois qu’une foule ; j’éprouve feulement ce plaifir vague qu’excitent dans l’organe de la vue les couleurs variées qui compofent les différentes parures : mais enfin je parviens à démêler une perfonne qui m’intéreffe , je m’attache à elle, c’eft avec elle que je cherche à m’entretenir, & je fens que mon ame i’eroit plus fatisfaite fi nois n’étions que deux.

Tel eft l’effet que produifent ces tableaux vantés qu’on appelle de grandes machines, & qui , fur une vafte toile , m’offrent une multiplicité de figures. Il en eft comme d’une affemblée nombreufe , je ne vois d’abord qu’une foule : ma première exclamation eft , bon Dieu , que de monde ! & cette exclamation n’eft pas celle du plaifir. Si le tableau eft d’un grand colorifte , je reçois , fans prefque m’en rendre compte à moi - même , la fenfation agréable du charme des couleurs. Enfin je cherche à regarder le tableau en détail , & fi j’y découvre une figure plus belle que les autres, je m’attache à la contempler. ; mais j’éprouve quelque dépit d’être INT

diftraic par toutes celles qui l’environnent, Si je voudrois qu’elle fût feule pour jouir fans partage de fes beautés.

Ainfi les grandes compofitions qui repréfentent un peuple affemblé , une bataille , une cérémonie , cauferont toujours un plaifir moins vif & moins d’intérêt, qu’un excellent ouvrage qui repréfente une feule figure ou un fort petit nombre de figures. L’intérêt augmentera fi cette figure éprouve une affeûion capable de fe faire partager ; la forte de douleur qui ne nuit point à la beauté , la fatisfacficn intérieure, la douce émotion de l’amour.

Si la douleur eft affez violente pour détruire la beauté des traits , elle excite une douleur prefque femblable dans l’ame du fpecf ateur ; elle caufe le frémiffement , & n’inipire pas cette fenfation modérée & touchante qu’en nomme intérêt. La loi de ne pas offrir aux yeux des objets qui faffent horreur doit commander à l’artifte comme au poète. Quand les bourreaux cultiveront les arts , qu’ils fe plaifent à repréfenter des fupplices : mais que l’artifte qui veut m’intéreffer étudie , dans la nature , non fes plus terribles convulfions , mais fes beautés. Ce que nous avons dit jufqu’ici fe rapporte au genre de l’hiftoire : pafTons aux genres inférieurs.

Le Titien & Van-Dyck ont élevé celui du portrait auffi près qu’il eft poffible du premier des genres. Le grand intérêt du portrait eft de rendre toujours préfente la refTemblance d’une perJJmtte aimée. S’il repréfente une de ces perfonnes rares qui , par leurs talens, leurs vertus, les fervices qu ils ont rendus à leur patrie, le bien qu’ils ont fait à l’humanité , laiffent à la poftérité un fouvenir mêlé d’eftime , d’admiration , de reconnoiflance ; il acquerra toujours un intérêt plus grand à mefure qu’il s’éloignera du temps où vivoit l’original. Mais s’il repréfente un homme qui n’intéreffe que fes amis & fa famille, & qui doit mourir tout entier, i. ne pourra caufer un intérêt général que par des beautés qui appartiennent à l’art , ou comme la repréfentation fidèle de l’une des beautés remarquables de la nature ; car on fent que, dans le portrait, la beauté ne peut perdre le droit qui lui appartient d’intéiefter par-tout où elle fe trouve.

Le payfage , tel que le font les Hollandois, repréfentant un pays plat qui ennuyeroit lui-même , ne peut intéreffer que par le mérite du faire , ou le piquant des effets accidentels : mais un payfage , une vue, une côte maritime où l’on voudrait pouvoir fe tranfporrer , & dont l’afpecl offre d’agréables promenades, caufe un intérêt femblable à celui qu’infpit croit le lieu lui-même. On eft plus fortement intérefTé par un payfage qui infpire une douce mélancolie, que par celui qui ne refpire que la gaieté,