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que le second, mais différemment traité : l’ordonnance en est d’une grandeur & d’une magnificence extraordinaire. Des anges tiennent en l’air un rouleau, où est écrit : Gaudium in cœlo super uno peccatore pœnitentiam agente. Il a été donné au Roi de France en 1665, par la République de Venise. Ces quatre tableaux sont remarquables par la manière dont ils sont peints & colorés, par la beauté des habits, la richesse des vases, & les autres accompagnemens qui, dit Félibien, représentent dans ces festins une magnificence aussi grande que tout ce qu’on rapporte de ceux d’Assuérus.

Mais cet amateur judicieux, en rendant justice au faste de ces compositions, observe avec raison le défaut de convenance qu’offre ce faste même. La magnificence de simples particuliers, tels que Simon & Lévi, ne devoit pas être celle des Rois de Perse. Aussi, quand on parle de la vérité qui regne dans les ouvrages de Paul Véronese, il faut entendre que cette vérité ne porte que sur les formes & la couleur ; on n’y trouve ni celle du costume, ni celle des mœurs, ni celle de l’expression.

Ce peintre acquit de grandes richesses, & vécut honorablement, quoiqu’il ne recherchât pas avidement, comme le Tintoret, toutes les occasions de gagner, & qu’il se contentât souvent, pour ses plus beaux ouvrages, de retirer les avances qu’il avoit faites. Il ne se distinguoit pas moins par ses mœurs que par ses talens, & il avoit coutume de dire que les talens n’étoient estimables que par leur union avec la probité.

Si les têtes de femmes dans ses ouvrages n’ont pas le grand caractère de la beauté, elles sont du moins agréables. Ses têtes des deux sexes ne sont que des portraits, mais ils sont beaux & bien choisis : ses ordonnances sont magnifiques, ses groupes ingénieusement enchaînés. S’il est vrai, comme de Piles le prétend, qu’il n’ait réussi dans le clair-obscur que par hazard, & sans principes, il faut avouer qu’il a eu souvent de ces hasards heureux, & qu’il a souvent assuré l’effet de ses tableaux par de belles masses d’ombre & de lumière. Son coloris est fier & vrai, ses reflets sont savamment ménagés. Il ne drapoit pas dans la grande manière de Raphaël ; on a cru même voir en lui dans cette partie quelqu’imitation d’Albert Durer ; mais il vêtoit bien ses figures à la manière de son temps & de son pays, & représentoit avec une grande vérité les plus riches étoffes. Quoique ses figures soient bien ensemble sous leurs vêtemens, il manquoit de correction & de finesse, mais non de grandeur, dans le dessin du nud. Il faut avouer cependant qu’il dessinoit agréablement les figures de femmes, & très-bien les têtes & les mains.


Le fracas qui regne dans les compositions, ressemble à de la chaleur ; mais ce n’est ni le beau feu qui animoit Raphaël, ni l’impétuosité qui tourmentoit Michel-Ange, ni la vivacité de Rubens. Ses ombres tiroient trop sur le violâtre, mais ses demi-teintes étoient belles & fraîches. Il aimoit à placer l’horizon un peu bas pour donner plus de jeu à la composition, parce qu’alors les figures du devant devienn plus à dominantes. Son pinceau étoit gras, son faire facile son fini parfait, mais léger. S’il étoit foible dans l’expression des affections de l’ame, il saisissoit bien celle qui représente la vie. Dans les plafonds, il avoit de beaux raccourcis. Il savoit donner le mouvement à ses figures « Il a su observer, dit M. Cochin, que, dans les ombres portées, il reste une lumière qui ne vient pas du jour principal, mais de tout le ciel, ce qui fait patoître des détails tendres dans ces ombres. Ce qui le rend plus admirable encore, c’est que ces parties ombrées conservent leurs demi-teintes colorées avec une variété presqu’aussi détaillée que les choses exposées au grand jour ; & c’est d’une manière si imperceptible, que la masse totale n’en est pas moins unie & grise, mais d’un gris coloré qui est d’une grande beauté. On y apperçoit encore assez distinctement une connoissance de l’effet de la lumière qu’on voit rarement chez d’autres maîtres : c’est que les devans du tableau sont tendres & presque tous reflétés ; les touches même n’en sont pas si fortes que les ombres des objets qui sont derrière. Il faut entendre que ces objets qui servent de fond & qui sont plus forts, ne soient pas fort éloignés. C’est l’effet véritable de la nature ; mais peu de peintres l’ont connu ; ou du moins il en est peu qui aient eu assez de courage pour le pratiquer. Il faut avoir beaucoup de science dans le coloris & dans la magie du clair-obscur, pour entreprendre de tirer les devans sans force, & par la seule beauté de la couleur. »

Mais quoique Paul Véronese mérite les plus grands éloges, il faut avouer qu’il ne doit être imité que pour ses belles parties pittoresques, sans le regarder comme un véritable peintre d’histoire ; ou du moins de l’histoire héroïque & antique. Mais il sera supérieur à la critique, & méritera des louanges sans réserve, si l’on se contente de lui assigner le rang suprême entre les peintres de portraits historiés, puisque les figures de ses tableaux d’histoire sont en effet des portraits, vêtus, ajustés comme l’étoient les nobles Vénitiens de son temps. Il auroit été sans reproche, s’il eût choisi, pour exercer son pinceau, des sujets de l’histoire de Venise. Il lui reste la gloire d’avoir été l’un des plus grands peintres qui