Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T02.djvu/55

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
PEI PEI 45


discréditer entièrement. J’opposerois à ce coloris trop fier & trop crud, les teintes les plus tendres & les plus suaves. Notre peintre resserre ses lumières & les fait toujours tomber d’en haut ; j’étendrois davantage les miennes & je ne représenterois jamais mes sujets qu’en plein air. A la faveur des ombres, il se soustrait aux difficultés, je l’art ; loin de craindre ces difficultés, je voudrois faire voir que j’ai fait d’excellentes études. Mes figures, éclairées dans toutes leurs parties de la lumière la plus vive, montreroient les plus grandes & les plus savantes recherches. Enfin, autant le Caravage est peu curieux de faire de beaux choix, autant il affecte de peindre la nature telle qu’il la rencontre, autant j’exigerois qu’on fit un triage de ce que la nature a de plus parfait, & que, formant un beau tout des différences parties qu’on auroit jugés dignes d’adopter, on donnât aux figures une noblesse & un agrément qu’on ne trouve que bien rarement & peut-être jamais dans les modèles même qu’on a le plus scrupuleusement choisis. »

Cette manière indiquée par Annibal étoit aimable & douce : elle convenoit au caractère aimable & doux du Guide. Présent à cette conversation, il la regarda comme la meilleure leçon qu’il pût suivre, & des paroles, dont celui qui les avoit prononcées n’avoit pas dé mêlé toutes les conséquences, apprirent au Guide le chemin qui devoit le conduire à la gloire.

Il ne différa point d’entrer dans cette route nouvelle : mais soit par jalousie, soit par la peine que les hommes ont de reconnoître que ce qui est nouveau peut être louable, dès qu’il fit paroître des tableaux faits sur les principes dont Annibal lui avoit fourni les élémens, il eut pour censeurs sévères, & même pour ennemis, tous les élèves d’Annibal & des autres Carraches ; ils lui reprocherent durement son orgueilleuse envie de se singulariser, parvinrent même à le brouiller avec les maîtres, & le firent exclure de l’école.

Il dut regretter l’amitié de Louis qui l’avoit toujours traité avec tendresse ; mais devenu libre de ses obligations par l’injuste procédé de ce maître, il ne craignit pas de se montrer son émule. Le cloître de San Michele in Bosco étoit rempli d’ouvrages de Louis, qui sont mis au rang de les chefs-d’œuvres ; le Guide peignit dans le même cloître Saint Benoît dans le désert, à qui les voisins de sa retraite apportent des présens. La composition est enrichie de la variété des âges, des séxes & des vêtemens. Les Bolonois étonnés reconnurent que Louis, dans son élève, avoit trouvé un rival & peut-être un vainqueur, & des


biographes assurent que Louis joignit lui-même ses applaudissemens à ceux des autres spectateurs. Ce tableau si célèbre est aujourd’hui gâté par le temps. On en admire encore le dessin dans les restes de quelques têtes & de plusieurs autres parties qui offrent une grande beauté ; mais on trouve la couleur un peu rouge.

Il eut le courage de sacrifier la ficrté que pouvoient lui inspirer ses succès au desir de faire des progrès nouveaux, & ne crut pas s’humilier en se mettant sous la conduite d’artistes qui lui étoient bien inférieurs, pour apprendre tous les procédés de la fresque. Ce genre a ses difficultés qui lui sont particulières : il faut savoir juger les divers changemens qu’éprouvent les teintes à mesure qu’elles sechent, & connoître les différens effets qu’elles produisent par leur mêlange : c’est ce que le Guide apprit d’espèces d’ouvriers qui n’avoient que de la pratique ; il se rendit en quelque sorte leur aide & leur élève, & se distingua bientôt dans ce genre de peinture.

Il n’avoit pas encore vu Rome, mais on y connoissoit quelques uns de ses ouvrages & ils étoient estimés. Les amateurs l’appelloient dans cette ville ; le Josepin se joignoit à leur empressement, peut-être pour susciter un rival au Caravage ; l’Albane son compagnon d’école & son ami, offroit de l’accompagner ; lui-même desiroit de revoir Annibal dont cependant il n’étoit pas aimé, & de juger par lui-même la fameuse galerie Farnese dont il entendoit parler avec admiration. Il partit, & débuta par des tableaux qui se voyent encore à Sainte Cécile & qui justifierent l’idée qu’on s’étoit faite de les talens. Cependant pour obtenir du Cardinal Borghese l’entreprise du tableau qui représente le crucifiement de Saint Pierre, il fut obligé de se soumettre à la mode regnante, & de promettre de le faire dans la manière du Caravage. Il tint parole ; mais, aux yeux des vrais connoisseurs, il se montra supérieur au modèle qu’il daignoit imiter, & mit dans son dessin & dans l’ordonnance de son sujet un goût & une noblesse que le Caravage étoit loin de connoître.

Les succès qu’il eut à Rome lui firent des ennemis ; le plus emporté étoit le Caravage ; le plus dangereux étoit Annibal, parceque ses jugemens répétés & retenus, devoient poursuivre, même auprès de la postérité, les talens auxquels il ne rendoit pas justice. L’Albane même se brouilla avec le Guide, son ami, quand la voix publique lui apprit que cet ami étoit son supérieur.

Chargé par le Pape de peindre sa chapelle secrette du Monte Cavallo, il se fit de cette nouvelle entreprise un nouveau triomphe. Mais il se crut offensé par le trésorier de Paul V, & retourna à Bologne, où il peignit le mas-