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grains, autour de ce point juste auquel le cultivateur est encouragé par son gain, tandis que l’artisan n’est point forcé d’augmenter son salaire pour se nourrir ou se procurer une meilleure subsistance. Ce ne peut jamais être l’effet d’une gestion particulière, toujours dangereuse & suspecte : mais la police générale de l’état peut y conduire.

Le premier moyen est, sans contredit, d’établir une communication libre au-dedans entre toutes les provinces. Elle est essentielle à la subsistance facile d’une partie des sujets. Nos provinces éprouvent entr’elles de si-grandes différences par rapport à la nature du sol & à la variété de la température, que quelques-unes ne recueillent pas en grains la moitié de leur subsistance dans les meilleures années. Elles sont telles, ces différences, qu’il est physiquement impossible que la récolte soit réputée abondante dans toutes à la fois. Il semble que la providence ait voulu, par ce partage heureux, nous préserver des disettes, en même-tems qu’elle multiplioit les commodités. C’est donc aller contre l’ordre de la nature, que de suspendre ainsi la circulation intérieure des grains. Ce sont les citoyens d’un même état, ce sont les enfans d’un même père qui se tendent mutuellement une main secourable ; s’il leur est défendu de s’aider entr’eux, les uns seront forcés d’acheter cher des secours étrangers, tandis que leurs frères vivront dans une abondance onéreuse.

Parmi tous les maux dont cet état de prohibition entre les sujets est la source, ne nous arrêtons que sur un seul. Je parle du tort qu’il fait à la balancé générale du commerce, qui interesse la totalité des terres & des manufactures du royaume. Car lorsque les communications sont faciles, le montant de cette balance se repartit entre chaque canton, chaque ville, chaque habitant : c’est à quoi on ne réfléchit pas assez. L’inégalité des saisons & des récoltes ne produit pas aussi souvent l’inégalité des revenus, que le fait celle de la balance. Dans le premier cas, le prix supplée assez ordinairement à la quantité ; &, pour le dire en passant, cette remarque seule nous indique qu’un moyen assuré de diminuer la culture des terres, le nombre des bestiaux & la population, c’est d’entretenir par une police forcée, les grains à très-bas prix ; car le laboureur n’aura pas plutôt apperçu qu’en semant moins il peut se procurer le même revenu qu’il cherchera à diminuer ses frais & ses fatigues, d’où résultera toujours de plus en plus la rareté de la denrée.

Dans le second cas, le cultivateur ne trouve plus le prix ordinaire de ses grains, de sa laine, de ses troupeaux, de ses vins ; le propriétaire est payé difficilement de sa rente, & cette rente baisseroit si la balance étoit désavantageuse pendant un petit nombre d’années seulement. L’ouvrier travaille moins, ou est forcé par le besoin de diminuer son salaire raisonnable, parce que la quantité de la substance qui avoit coutume de vivifier le corps politique est diminuée. Tel est cependant le premier effet de l’interdiction dans une province. C’est un tocsin qui répand l’alarme dans les provinces voisines ; les grains se resserrent ; la frayeur, en grossissant les dangers, multiplie les importations étrangères & les pertes de l’état.

Avant de se résoudre à une pareille démarche, il ne suffit pas de connoître exactement les besoins & les ressources d’une province ; il faudroit être instruit de l’état de toutes les autres dont celle-ci peut devenir l’entrepôt. Sans cette recherche préliminaire, l’opération n’est appuyée sur aucun principe : le hasard seul en rend les effets plus ou moins funestes.

Je conviens cependant que, dans la position actuelle des choses, il est naturel que les personnes chargées de conduire les provinces s’efforcent, dans le cas d’un malheur général, d’y soustraire la portion du peuple qui leur est confiée. J’ajoute encore que les recherches que j’ai supposées essentiellement nécessaires, & qui le sont, exigent un temps quelquefois précieux ; que le fruit en est incertain, à moins qu’il n’y ait un centre commun où toutes les notions particulières se réunissent, & où l’on puisse les consulter ; que le prix des grains n’est pas actuellement une règle sûre, soit parce que nos cultivateurs pour la plûpart ne sont pas en état de les garder, soit parce qu’il est assez ordinaire, dans les mauvaises récoltes, que les grains aient besoin d’être promptement consommés. Enfin j’avouerai qu’en voyant le mieux, il est impossible de le faire : c’est une justice que l’on doit au zèle & à la vigilance des magistrats qui président à nos provinces.

Il s’agit donc d’appliquer un remède convenable à ces inconvéniens forcés ; & comme tous les membres d’un état sont en société, le remède doit être général : il est trouvé. Un citoyen généreux dont la sagacité s’exerçoît avec autant de succès que de courage & de dépense sur les arts utiles à sa patrie, nous a proposé l’unique expédient capable de perfectionner notre police sur les grains, en même-temps qu’il en a facilité l’exécution par ses découvertes. On sent que je parle de M. Duhamel du Monceau, & de son excellent traité de la conservation des grains.

La multiplicité des magasins de bled particuliers est la première opération nécessaire pour entretenir l’abondance dans le royaume, maintenir le prix dans un cercle à-peu-près égal, & procurer en tout temps un bénéfice honnête au laboureur.

Un axiôme de commerce pratique, connu de tout le monde, c’est que la denrée est à bas prix s’il y a plus d’offreurs que de demandeurs. Si le grain est à bas prix, le recouvrement des revenus publics & particuliers languit ; le travail est suspendu :