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dans le commerce des grains. Sans ces profits, le commerce seroit nul, sans commerce point d’abondance. Nous n’insisterons pas non plus sur la frayeur ridicule qu’inspirent les usuriers, dont les amas sont ou médiocres ou considérables : s’ils sont médiocres, ils ne font pas grand tort, s’ils sont d’un gros volume, ils sont toujours sous la main de la police.

Mais il ne suffit pas d’opposer des raisons à ces sortes d’erreurs : c’est un ouvrage réservé au législateur de réformer l’esprit national. Il y parviendra sûrement en honorant & en favorisant ceux qui entreront dans ses vûes.

Nous avons même déjà fait quelques pas vers les bons principes sur le magasinage des grains. Il y a quelques années que la sagesse du ministère ordonna aux communautés religieuses du royaume de conserver toujours des provisions de grains pour trois ans. Rien n’étoit mieux pensé, ni d’une exécution plus facile. Dans les années abondantes, cette dépense n’ira pas au double de l’approvisionnement d’une année au prix commun. Dès-lors toute communauté est en état de remplir cette obligation, à moins qu’elle ne soit obérée ; dans ce cas, l’ordre public exige qu’elle soit supprimée pour en réunir les biens à un autre établissement religieux.

À cet expédient on en ajouta un encore plus étendu : on a astreint les fermiers des étapes à entretenir pendant leur bail de trois ans, le dépôt d’une certaine quantité de grains dans chaque province.

Voilà donc des magasins de bled avoués, ordonnés par l’état. Les motifs de ces réglemens & les loix de la concurrence, toujours réciproquement utiles aux propriétaires & aux consommateurs des denrées, nous conduisent naturellement à une reforme entiere.

Un édit par lequel le prince encourageroit, soit par des distinctions, soit dans les commencemens par quelque légère récompense, les magasins d’une certaine quantité de grains, construits suivant la nouvelle méthode, sous la clause cependant de les faire enregistrer chez les subdélégués des intendans, suffiroit pour détruire le préjugé national. Pour peu que le préambule présentât quelque instruction aux gens simples & ignorans parmi le peuple, ce jour seroit à jamais béni dans la mémoire des hommes. On ne peut pas dire que nos provinces manquent de citoyens assez riches pour ces spéculations. Avec une légère connoissance de leur état, on sait que tout l’argent qui s’y trouve ne circule pas. C’est un malheur bien grand sans-doute, & les profits du commerce des grains passent pour être si-sûrs, que c’est peut-être le meilleur moyen de restituer à l’aisance publique ces trésors inutiles. D’ailleurs suivons le principe de la concurrence, il ne peut nous égarer : ce ne seront pas des greniers immenses qui seront utiles, mais un grand nombre de greniers médiocres ; c’est même où l’on doit tendre, c’est sur ceux-là que devroit porter la gratification si l’on jugeoit à propos d’en accorder une.

Le défaut de confiance est la troisième difficulté qui pourroit se présenter dans l’exécution ; il auroit sa source dans quelques exemples qu’on a eus, de greniers ouverts par autorité. Il faut sans doute que le danger soit pressant pour justifier de pareilles opérations : car un grenier ne peut disparoître d’un moment à l’autre, sur-tout s’il est de nature à attirer l’attention du magistrat. Il faut du moins convenir qu’on eût été dispensé de prendre ces sortes de résolutions, si de pareils greniers eussent été multipliés dans le pays. Ainsi la nature même du projet met les supérieurs à l’abri de cette nécessité toujours fâcheuse, & les particuliers en sûreté. La confiance ne sera jamais mieux établie cependant, que par une promesse solennelle de ne jamais forcer les particuliers à l’ouverture des greniers enregistrés. Ce réglement seul les porteroit à remplir une formalité aussi intéressante, d’après laquelle on pourroit, suivant les circonstances, publier à propos des états.

Comme il faut commencer & donner l’exemple, peut-être seroit-il utile d’obliger les diverses communautés de marchands & d’artisans dans les villes, à entretenir chacune un grenier, ou d’en réunir deux ou trois pour le même objet. Presque toutes ces communautés sont riches en droits de marque, de réception, & autres : il en est même qui le sont à l’excès aux dépens du commerce & des ouvriers, pour enrichir quelques jurés. Enfin toutes ont du crédit ; & la spéculation étant lucrative par elle-même, ne peut être onéreuse aux membres. Il seroit à propos que ces communautés administrassent par elles-mêmes leurs greniers, & que le compte de cette partie se rendît en public devant les officiers de la ville.

Lorsqu’une fois l’établissement seroit connu par son utilité publique & particulière, il est à croire que l’esprit de charité tourneroit de ce côté une partie de ses libéralités : car la plus sainte de toutes les aumônes est de procurer du pain à bon marché à ceux qui travaillent.

Les approvisionnemens proposés, & ceux de nos îles à sucre, avec ce qu’emporte la consommation courante, assure déjà au cultivateur un débouché considérable de sa denrée dans les années abondantes. Mais pour que cette police intérieure atteigne à son but, il faut encore qu’elle soit suivie & soutenue par la police extérieure.

L’objet du législateur est d’établir, comme nous l’avons dit plus haut, l’équilibre entre la classe des laboureurs & celle des artisans.

Pour encourager les laboureurs, il faut que leur denrée soit achetée au milieu de la plus grande concurrence possible dans les années abondantes.

Il est essentiel que la plus grande partie de ces