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qu’à se conserver. Vouloir les engager à se mêler des troubles qui agitent l’Europe, ce seroit se donner beaucoup de peines infructueuses ; &, si l’on réussissoît, quel avantage devrait-on attendre d’une alliance forcée ? Qu’un ambassadeur de Vienne, de France ou de Londres tâche d’engager Venise dans les guerres d’Italie, le sénat de cette république se décidera pour la paix, parce qu’on ne peut lui proposer que des avantages trop foibles pour l’emporter sur les craintes que lui cause la guerre.

En négociant avec les états libres, il faut avoir égard à leurs passions & à leurs préjugés, qui ont beaucoup d’influence sur leur politique, & qui en suspendent ou hâtent les opérations. Si les françois & les anglois par exemple, se réunissoient jamais pour une même entreprise, il y a lieu de croire que cette alliance n’aboutiroit à rien. Il semble que le roi d’Angleterre est le maître de traiter avec les étrangers ; mais on ne peut pas compter sur ses engagemens, s’ils sont désagréables à sa nation ; car celle-ci a le droit de refuser des subsides. Personne n’ignore comment Charles II, gêné par les murmures de son parlement, se comporta dans la guerre de 1672 ; & si la France avoit formé une entreprise où les secours des anglois lui eussent été nécessaires, n’auroit-elle pas échoué dès la seconde campagne ? D’ailleurs l’esprit de liberté & la haine contre les françois ont encore augmenté depuis cette époque. La convention signée au Pardo, il y a environ 50 ans, entre la cour de Londres & l’Espagne, est encore une preuve de ce que je dis. Ce traité devint inutile, & la nation angloise, qui ne vouloit aucun accommodement, força ses ministres à la guerre.

Les administrateurs saisissent avec assez d’art les petits intérêts propres à former des alliances passagères ; mais les grandes révolutions qui changent tout le systême de l’Europe, échappent trop souvent à leur pénétration.

À l’exception de quelques petits états dont le véritable intérêt est de ne songer qu’à se maintenir, en se mettant sous la protection de leurs voisins, la plupart des puissances de l’Europe cherchent à s’agrandir, & leur ambition a toujours de vieux droits qu’elles se proposent de réclamer, dès que le moment sera favorable. Ces intérêts, en se croisant, ont établi une sorte de haine entre quelques nations, & c’est pour en prévenir les effets qu’on se ménage des alliances.

Les alliances de famille viennent déranger ces combinaisons, & elles ont peut-être contribué, plus que tout le reste, aux inconséquences de notre politique ; elles bouleversent tous les systêmes, & mettent de petites affections domestiques à la place des grands interêts qui devroient faire agir les princes pour le bien de leur peuple, ou du moins pour l’avantage de leur maison. On ne peut établir à cet égard aucune règle certaine : J’aimerais mieux ne laisser qu’un moulin à mon fils, disoit le roi Victor, que marier ma fille au duc de Bourgogne ; mais un autre prince sacrifiera son héritier & la gloire de ses états à l’établissement de sa fille. D’ailleurs les alliances qui se font entre deux familles souveraines par des mariages, ne produisent pas communément l’avantage qu’on en espère : on ne marie pas les sceptres des rois comme leurs personnes. Il est donc essentiel qu’un souverain ne contracte point de cette manière des alliances qui choquent l’intérêt national ; il s’exposeroit par cette imprudence à des chagrins & à des fautes dont il ressentiroit le premier, les suites funestes.

Si un prince s’est laissé séduire par une alliance qui doit produire la ruine de son état, ou attirer quelque grand malheur sur son peuple, doit-il toujours y rester fidèle ? Le salut de l’état est la loi suprême, & l’intérêt des contractans est le motif des traités. Les princes ne sont pas infaillibles ; ils peuvent & doivent revenir sur leurs pas ; il est même glorieux pour les deux parties de redresser une pareille faute. Si un contrat civil est nul, lorsque l’une des deux parties contractantes est considérablement lézée, de moitié, par exemple, ou davantage ; à bien plus forte raison une alliance, qui entraîne la ruine de l’un des alliés, ne doit pas être regardée comme obligatoire. La raison & la politique sont d’accord sur ce point.

Ce que l’on vient de dire ne regarde pourtant que les traités frauduleux où l’une des parties seroit considérablement lésée par surprise ou par artifice ; car, hors ce cas, la disproportion des avantages n’annulle pas un traité d’alliance.

Croiroit-on que des politiques discutent gravement, si les princes chrétiéns peuvent faire des alliances avec des infidèles, tels que les Turcs ? Nous ne dirons qu’un mot sur cette question ; nous rougirions de la discuter dans un siècle philosophe : la plupart des souverains de l’Europe traitent sans scrupule avec les ottomans.

On peut voir dans Machiavel quelles sont les alliances les plus assurées, celles qu’on fait avec une république ou celles qu’on contracte avec un prince. Institutions politiques du baron de Bielfeldt ; la Science du Gouvernement, par M. de Réal ; Discours politiques sur Tite-Live, par Machiavel.

Nous parlerons à l’article TRAITÉ des divers traités d’alliance qui subsistent aujourd’hui entre les puissances de l’Europe.

ALLIÉS. On nomme alliés les princes ou les états qui se confédèrent ou s’unissent ensemble pour se prêter un mutuel secours lorsqu’ils sont attaqués, ou pour attaquer conjointement un ennemi commun. Il nous reste peu de choses à dire sur cet article.

De l’indépendance des alliés. Malgré l’inégalité de pouvoir & de jurisdiction qui peut se trouver