Page:Encyclopédie méthodique - Economie politique, T01.djvu/401

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

boulangerie, ne sont pas plus forts que pour une cuisson particulière.

Moyennant la perfection de la boulangerie, & la suppression de toutes les entraves, de toutes les exactions, de tous les privilèges exclusifs, le peuple ne payeroit que la façon du pain & le bénéfice du boulanger : il payeroit l’un & l’autre au meilleur marché qui soit possible.

Il ne faut pas regarder cet objet comme peu considérable, & comme indifférent à la prospérité générale de l’état ; c’est la faute très-grave qu’on avoit commise jusqu’à présent. Quelques deniers de plus ou de moins, par livre de pain, ne sembloient pas mériter d’attention ; cependant voici un calcul bien assûré & bien facile.

Il se consomme chaque jour dans le royaume environ vingt-cinq ou trente millions de livres de pain. N’en comptons que vingt-quatre millions, ce n’est pas trop, attendu la quantité de pauvres gens, qui n’ayant pas d’autre nourriture que le pain & la soupe, en mangent beaucoup plus : & d’ailleurs les animaux domestiqus en consomment aussi.

Un denier de plus par livre de pain, formera donc chaque jour pour le peuple une surcharge de vingt-quatre millions de deniers, c’est-à-dire, de huit millions de liards, ou de deux millions de sols, & par conséquent de cent mille francs. Or cent mille francs par jour font, dans une année, trente-six millions cinq cens mille livres.

Les esprits légers & superficiels, qui regardent encore aujourd’hui, comme des minuties indignes de leurs soins, toutes les recherches qu’ont faites de bons & zélés citoyens pour diminuer le prix du pain, sans diminuer la valeur du grain, pourront voir par le calcul combien ils doivent se défier de leurs jugemens, & de leurs prétendues bonnes intentions.

Deux deniers épargnés sur chaque livre de pain dans le royaume, équivalent précisément chaque jour à la solde & à l’entretien de cent mille hommes de troupes réglées, à raison de quarante sols par tête l’un portant l’autre, ce qui formeroit une solde assez forte[1].

C’est que les pertes les plus terribles, & les épargnes les plus considérables, sont naturellement sur l’objet de la consommation la plus générale & la plus continuelle. Or cet objet est assûrément le bled, la farine & le pain.

Secondement, le boulanger qui se feroit librement vendeur de pain au public, sans avoir rien à payer que la farine & les frais les plus indispensables, frais qui sont infiniment moindres pour une boulangerie en grand, ne pourroit s’assûrer le bon débit qu’en donnant au public de bon pain. Il faudroit qu’il apprît à se connoître en bonne farine : cet art, qui est d’ailleurs assez facile, lui deviendroit bientôt familier, dès-qu’il y auroit un grand intérêt.

Mais en considérant le vendeur de pain ou le particulier qui veut faire le sien, comme acheteurs de farine, il est évident que toutes les charges qu’on impose à cette denrée, retombent nécessairement sur le prix du pain.

Les petites exactions que souffre, en particulier, le commerce de la farine dans une grande partie du royaume, sont presque insensibles ; cinq ou six sols par sac de farine pesant trois cens vingt livres, c’est une misère qui ne vaut pas la peine d’être remarquée. Vous le croyez ? eh bien, cette misère enchérit tout le pain du royaume de la sixième partie d’un denier par livre de pain. Mais qu’est-ce que l’enchérissement de la sixième partie d’un denier par livre de pain ? C’est un impôt de plus de six millons par an sur toute la nation.

Il n’y a dans le royaume aucun endroit si privilégié, où si on laisse subsister les perceptions quelconques des seigneurs, des officiers municipaux, des jurandes & communautés, &c. la farine moulue seule (sans compter le grain & la mouture) ne soit rançonnée au point de faire augmenter le pain de plus d’un liard par livre, & par conséquent de former un véritable impôt annuel & journalier de plus de cent millions sur la nation.

Les personnes qui voient d’un œil indifférent ces petites perceptions sourdes, seront bien étonnées de savoir que la nation toute entière, sans aucune exception, paye autant & peut-être beaucoup plus d’impôt sur la farine & le pain aux exacteurs particuliers, qu’elle ne paye au Roi de taille, de capitation & de vingtièmes.

Si toutes ces surcharges étoient anéanties, le vendeur de pain, acheteur de farines, n’auroit à payer que la farine même. En le supposant éclairé par son intérêt, par l’instruction, par le bon exemple, il tireroit le meilleur parti possible de ces farines, & vendrait le pain au meilleur marché.

Troisièmement, le vendeur de farine n’auroit plus qu’à se connoître en bleds, en bonne mouture, en bon assortiment. C’est encore là un de ces objets qu’on a dédaigné jusqu’à présent, & qui mérite pourtant une attention très-sérieuse.

Les grains recueillis dans divers terreins & dans des années différentes, étant moulus, chacun à la

  1. Ce calcul est assurément bien modéré ; car il part de deux suppositions évidemment au-dessous de la vérité ; la premiere, qu’il n’y dans le royaume que dix-huit millions d’ames, tandis qu’il est très-prouvé que sa population actuelle monte à plus de vingt millions ; la seconde, que cette population & les animaux domestiques ne consomment, journellement que vingt-quatre millions de livres de pain ; lorsqu’ils n’en peuvent dépenser guères moins de 36 millions ; ce qui élève ce calcul en un tiers en sus.