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ils résistèrent à l’attrait des richesses & aux chimères de l’ambition. Contens d’être libres, ils se firent un devoir de respecter la liberté de leurs voisins, &, sans être aussi riches & aussi puissans, ils furent plus tranquilles & plus fortunés ; ils aimèrent mieux être choisis pour les arbitres des querelles, que d’y prendre une part directe. Le Péloponese & les autres provinces de la Gréce, frappés de leur droiture & de leur désintéressement se soumirent avec confiance à leurs décisions. Philippe & Alexandre les laissèrent en paix ; mais, sous les successeurs de ces deux princes, la république achéenne fut enveloppée dans la ruine de la Gréce ; elle fut obligée de se mêler des divisions qui troubloient la Macédoine, & des hommes qui se donnèrent d’abord pour ses protecteurs, devinrent ses tyrans. Le lien qui unissoit les villes fut rompu, & des intérêts divisés préparèrent une commune oppression. La honte de l’avilissement réveilla l’amour de la liberté ; Dyme, Patras, Phare, Tritée & les Egéens formèrent une république, où l’on vit renaître les mœurs, la police & l’union qui avoient fait respecter la première. Plusieurs autres villes massacrèrent leurs tyrans, & briguèrent la faveur d’être admises dans cette association, dont le but étoit de maintenir sa liberté sans attenter à celle de personne.

La Macédoine, qui desiroit arrêter les progrès de cette république fédérative, étoit agitée de troubles domestiques ; & elle se trouvoit trop affoiblie pour entreprendre une guerre étrangère. Ainsi les achéens auroient rendu à la Gréce son ancienne splendeur, s’ils avoient eu des préteurs d’un courage assez élevé pour rappeller aux grecs le souvenir de leur gloire & la honte de leur dégradation actuelle ; mais, au lieu de former des généraux & de s’occuper de l’art militaire, ils n’exercèrent que des vertus pacifiques : cette conduite étoit plus propre à inspirer du dédain que de l’admiration aux grecs, plus faciles à éblouir par des exploits guerriers que par de paisibles vertus. Les achéens avoient besoin d’un chef hardi & entreprenant ; ils le trouvèrent dans Aratus qui, après avoir affranchi Sycione, sa patrie, du joug des tyrans, la fit entrer dans la confédération. Pour prix de ses services, il n’exigea aucune distinction ; il se soumit aux loix comme le dernier des citoyens. Les achéens, charmés de sa modération, l’élevèrent à la préture qu’il exerça sans collègue, & qui fut pour lui une magistrature perpétuelle.

C’étoit un beau spectacle qu’un chef sans ambition, qui ne prenoit les armes que pour affranchir les villes du Péloponese ; afin de mieux assurer leur indépendance, il les associoit à la confédération. Toute la Gréce, saisie de l’enthousiasme de la liberté, n’alloit plus former qu’une seule république, lorsqu’Athènes & Sparte, qui conservoient leur ancienne fierté, sans avoir aucune de leurs anciennes vertus, murmurèrent hautement de voir l’Achaïe occuper la première place. Aratus, si propre à gouverner une république, à manier les passions de la multitude, si sage dans ses projets, si actif dans l’exécution, étoit sans talens pour la guerre ; &, quoique la Gréce fût couverte de ses trophées, on devoir moins attribuer ses victoires à ses connoissances dans l’art militaire qu’à l’incapacité des géneraux qu’il eut à combattre : ne s’aveuglant point sur la mesure de ses talens, il crut devoir négocier. Les achéens avoient un ennemi redoutable dans le roi de Macédoine. Aratus rechercha l’alliance des rois d’Égypte & de Syrie, qui réclamoient la succession d’Alexandre au préjudice des rois de Macédoine, & il l’obtint : avec un tel appui, la ligue fut respectée par Antigone & Démétrius son fils ; mais lorsqu’elle fut attaquée par Cléomène, roi de Sparte, elle éprouva que les rois de Syrie & d’Égypte vouloient bien la secourir contre les macédoniens dont ils redoutoient l’agrandissement, mais non contre les spartiates, plus belliqueux & plus propres que les achéens à défendre la liberté de la Gréce. Aratus, convaincu de l’inutilité de leur alliance, fut forcé de recourir aux macédoniens. Cléomène étoit sur les terres des confédérés, & plusieurs villes étoient déja soumises à sa domination. Antigone, charmé de se mêler des affaires de la Gréce, parut à la tête de vingt mille hommes de pied & de quatorze cens chevaux. Les deux armées se battirent, près de Sélacie, avec un courage opiniâtre. La phalange macédonienne fondit sur les spartiates, les mit en désordre, &, de six mille lacédémoniens, il n’y en eut que deux cens qui échappèrent au carnage. Sparte ouvrit ses portes au vainqueur, qui abolit les loix établies par Lycurgue. C’étoit trop la punir, puisqu’on étouffoit le germe de ses vertus.

La ligue n’eut point à se féliciter de cette victoire : en se procurant un allié si puissant, elle se donna un maître. Antigone mit des garnisons dans Corinthe & dans Orchomène, qu’elle fut obligée de soudoyer ; il rétablit les statues des tyrans renversées par Aratus. Les achéens, qu’il épouvantoit, le traitèrent avec la plus basse flatterie ; ils le détestoient au fond de leur cœur, & ils se dégradèrent jusqu’à lui offrir des sacrifices. Ce fut par cet avilissement qu’ils conservèrent leur gouvernement, leurs loix, & leurs magistrats.

La ligue achéenne, épuisée par la guerre, ne songea qu’à réparer ses pertes : les étoliens, instruits de sa foiblesse, firent des incursions sur son territoire. Ce peuple féroce, après avoir porté la désolation dans tout le Péloponèse, tailla en pièces les achéens commandés par Aratus. Philippe, qui régnoit alors, fut appellé au secours de la Gréce : il entra dans l’Etolie, où il s’empara de plusieurs places importantes, & il eût