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sur l’agriculture, & cela n’est pas allé plus loin. Les gens de la campagne savent-ils bien les choses les plus ordinaires & les plus communes ? Par exemple, la maniere la plus parfaite de planter un arbre fruitier ou sauvage, de le greffer & de le tailler, de labourer, de fumer & d’ensemencer un champ, &c. n’est presque connue de personne ; si ces instructions étoient plus générales, la quantité des productions qui constituent la richesse de l’état, augmenteroit considérablement : & si la richesse de tous les hommes provient de la terre, il importe de dévoiler à tous les gens occupés de la culture, les mystères qui facilitent cet accroissement. On a besoin d’un bon livre élémentaire sur l’agriculture, qui donne d’abord l’idée la plus avantageuse de l’agriculture & de l’état des laboureurs, & une théorie simple & nette de cet état, qui parle ensuite succinctement de tous les ouvrages qui se doivent faire chaque mois, & qui expose les expériences & les découvertes les plus utiles, en marquant soigneusement les climats, les expositions, & les terres auxquelles chaque expérience pourroit convenir. Le gouvernement pourroit en envoyer un exemplaire à chaque famille de la campagne, & veiller à ce qu’il fût expliqué à chaque agriculteur.

Les moyens de perfectionner l’agriculture resteront sans effet, si le législateur ne les seconde. Sans le secours des bonnes loix, toutes les instructions seront imparfaites. L’esprit du gouvernement, l’arrangement des finances, les anciennes coutumes dégénérées en loix, sont quelquefois si défavorables à la culture des terres, qu’on doit avant tout les réformer. Mais on craint les innovations ; on est effrayé de leurs inconvéniens ; de petits inconvéniens devraient néanmoins disparoître devant l’utilité publique.

Un auteur moderne conseille de faire un département séparé de l’agriculture, & de le soumettre à l’inspection d’un ministre particulier ; c’est vouloir établir un ordre de choses qui entraîneroit de grands abus ; mais si l’on n’a pas besoin d’un ministre d’agriculture, il seroit bon de créer des inspecteurs dans les provinces, soumis à un directeur général, ou à un tribunal composé de personnes intelligentes, qui veilleroient sur toutes les branches de la culture. Henri VIII, roi d’Angleterre, reconnoissoit déjà l’utilité d’une pareille institution : il en établit une, destinée uniquement à veiller sur la perfection de l’économie générale de son royaume.

Le ministre des finances est chargé, dans la plupart des états, de ce qui regarde l’agriculture. Mais la finance ne songe qu’à moissonner, & elle ne pense guères à semer : elle est trop attachée à l’exactitude de la recette, à l’ancienne routine & aux formalités. Elle ne peut embrasser, avec toute l’ardeur nécessaire, des établissemens qui ne prosperent qu’avee le temps, qui mettent du vuide dans la recette, ou qui demandent des avances. Il est clair néanmoins qu’en prenant tous les moyens propres à perfectionner la culture, il arrivera des pertes & des non-valeurs ; qu’il faudra ménager les forces du laboureur, l’aider quelquefois, & attendre qu’il soit en état de payer.


Section cinquième.


Des obstacles qui s’opposent à la perfection de l’agriculture.

1o Le premier des obstacles qui s’oppose à la perfection de l’agriculture, vient de l’impuissance absolue du laboureur. Pauvre, & accablé d’impôts, il n’a ni le pouvoir, ni la volonté de faire des dépenses. Son ame énervée par la misère, ne songe qu’à ses besoins journaliers : il marche, comme une bête surchargée, dans la route tracée par ses ayeux. Il est même des pays, où, si ses facultés & un instinct heureux le portoient à augmenter son industrie, ce nouvel effort ne seroit récompensé que par de nouveaux impôts, dont on l’accableroit l’année suivante.

2o. Tout systême de finance qui favorisant les autres classes de la société, fait tomber sur le laboureur le poids des impôts, est vicieux, puisqu’il ferme la source la plus abondante & la plus sûre des richesses de l’état. Il ne faut pas s’étonner qu’on suive presque par-tout cette méthode défectueuse. Taxer des terres ne demande aucun effort de génie : mais taxer l’industrie générale dans une juste proportion, sans nuire à aucune de ses branches, est le chef-d’œuvre de la législation, & cela exige beaucoup de calculs. Il est sûr cependant qu’on doit ménager le cultivateur : & les systêmes de finances, qui approchent le plus de ce principe, ou qui s’en éloignent le moins, seront toujours les meilleurs.

3o. « Nous connoissons, dit M. de Haller, un état en Europe, où le peuple, sans être accablé par des taxes, se trouve presque dans une impuissance semblable à celle du laboureur des pays dont le systême de finances est vicieux. Des rentes constituées y surchargent le peuple, & il souffre autant que s’il payoit des impôts énormes. On a permis trop légèrement à des rentiers oisifs, de taxer sans mesure l’industrie des habitans de la campagne. Un laboureur, mauvais économe, contracte des dettes considérables : ses descendans trouvant la même facilité, suivent ce mauvais exemple : sa postérité posséde à peine de quoi payer les arrérages ; elle restera dans la pauvreté, & ne pourra plus en sortir. Il n’eût pas été difficile de prévenir cet inconvénient : il seroit aisé de l’adoucir en établissant des registres publics des fonds de terre, & des dettes de chaque laboureur. On ne lui permettroit de contracter des dettes, que dans une juste proportion avec la valeur de ses domaines. Toute dette passant une somme fixe & modique,