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currence avec elle, il est évident que la gratification est inutile : le profit seul que présente l’exportation, est un appas suffisant pour les spéculations du commerce.

Si les grains sont au dernier prix auquel ils puissent recevoir une gratification, & qu’en même-temps ils soient à très-bon marché à Dantzick & à Hambourg, il y aura du bénéfice à transporter en fraude les grains de ces ports dans ceux de la Grande-Bretagne, d’où ils ressortiront de nouveau avec la gratification. Dans ce dernier cas, il est clair que la culture des terres n’aura point joui de la faveur qui lui étoit destinée : la navigation y aura gagné quelque chose à la vérité, mais c’est en chargeant l’état & Ie peuple d’une dépense beaucoup plus considérable que ce profit.

Quoique le profit particulier des sujets, par la différence du prix d’achat des grains sur le prix de la vente, rembourse à la totalité de la nation la somme avancée, & même au-delà ; jusqu’à ce que ceux qui ont payé effectivement leur contingent de la gratification, en soient remboursés avec l’intérêt par la circulation, il se passera un temps considérable, pendant lequel ils eussent pu faire un meilleur emploi de ce même argent dans un pays où le commerce, les manufactures, la pêche & les colonies sont dans un état florissant.

Ce n’est pas que ce moyen de gagner soit méprisable ; il n’en est aucun de ce genre dans le commerce extérieur d’un état ; mais il faut bien distinguer les principes du commerce d’économie ou de réexportation des denrées étrangères, des principes du commerce qui s’occupe des denrées nationales.

Les encouragemens accordés au premier sont un moyen de se procurer un excédent de population ; ils sont utiles tant qu’ils ne sont point onéreux à la masse des hommes, qu’on peut regarder comme le fond d’une nation ; au lieu que le commerce qui s’occupe de l’exportation des denrées nationales, doit être favorisé sans restriction. Il n’en coûte jamais un écu à l’état qu’il n’en retire dix & plus ; le remboursement du contingent qu’a fourni chaque particulier lui revient plus rapidement & avec un plus gros profit, parce que tout appartient à la terre directement ou à la main-d’oeuvre. D’un autre côté, la quantité des denrées nationales ne s’accroît jamais sans augmenter la masse des hommes, qui peuvent être regardés comme le fond de la nation.

Il est difficile, dans une île considérable dont les atterrages sont faciles, de prévenir l’introduction des grains étrangers. Ainsi il faut conclure que la gratification devroit être momentanée & réglée, d’après les circonstances, sur le prix des grains dans les pays qui en vendent en concurrence. Alors l’opération seroit véritablement salutaire, & digne du principe admirable dont elle émane.

Peut-être pourroit-on dire encore que cette gratification ne tombe  pas toujours aussi immédiatement au profit des laboureurs qu’il le sembleroit d’abord ; car dans les années abondantes, où l’on achète les grains pour les magasiner, en attendant l’occasion de les exporter, il n’est pas naturel de penser que les acheteurs, toujours en plus petit nombre que les vendeurs, en tiennent compte à ceux-ci sur le prix de leurs achats. Dans un pays où un très-petit nombre de cultivateurs auroit le moyen de garder ses grains, la gratification s’éloigneroit encore plus de Ia terre.

J’ai remarqué comme un désavantage de la trop grande concurrence extérieure, que l’Angleterre fournit aux ouvriers étrangers du pain à meilleur marché qu’aux siens propres : c’est une affaire de calcul. Si nous y supposons le froment à 42 schel. 3 s. sterl. prix commun depuis cinquante-sept années, il est clair qu’il peut être vendu en Hollande, en Flandres, à Calais, à Bordeaux même, à 40 sc. 3 s. sterl. avëc un bénéfice honnête. La gratification est de 5 schelings par quarter ; le fret & les assurances n’iront pas à plus de 2 sch. par quarter ; il restera encore un profit d’un scheling, c’est-à-dire, de 3 % dans une affaire qui ne dure pas plus d’un mois, & dans un pays où l’intérêt de l’argent est à 3% par an.

Je n’ignore point qu’on repliquera que, par ce moyen, l’Angleterre décourage l’agriculture dans les autres pays. Mais ce raisonnement est plus spécieux que solide, si le prix commun des grains en Angleterre est assez haut, pour que les autres peuples n’y aient recours que lorsqu’ils éprouvent chez eux de grandes diminutions de récolte. Or cela est de fait, du moins à l’égard de la France. Nous avons déjà observé que le prix commun du froment en Angleterre a été de 42 sch. 3 sols sterl. le quarter, c’est-à-dire, de 49 liv. 12 s. 10 den. de notre monnoie depuis cinquante-sept années ; ce qui revient à 24 liv. 16 sols 5 den. le septier de Paris, qui passe pour être de 240 livres p. & qui, dans le fait, n’excède point 230 liv. p. si j’en crois des personnes éclairées sur cette matière. Son prix commun n’a été en Brie que de 18 liv. 13 s. 8 den. pendant les quarante années écoulées depuis 1706 jusq’en 1745, malgré la famine de 1709, la disette de 1740 & 1741, & les chertés de 1713, 1723, 4, 5, 6, & de 1739. (Voyez Essai sur les monnoies, ou réflexions sur le rapport entre l’argent & les denrées.). Ainsi la subsistance des françois commence à devenir difficile, lorsque l’Angleterre nous fournit du blèd à son prix commun. Pour trouver la raison de cette différence sur le prix des deux royaumes, il faut remonter à un principe certain.

Deux choses règlent dans un état le prix des salaires ; d’abord le prix de la subsistance, ensuite le profit des diverses occupations du peuple par l’augmentation successive de la masse