Page:Encyclopédie méthodique - Histoire naturelle, 5, Insectes 1, T3.djvu/287

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mis cet insecte au nombre de ceux qui exercent les ravages les plus funestes. On accuse communément les Fourmis de dévaster les plantations, & en particulier celle de cannes à sucre : on ne nous a pas assez bien fait connoître les insectes qui exercent ces ravages, pour décider si ce sont en effet des Fourmis, ou, comme j’incline à le croire, des Thermes ; il n’est pas aisé non plus, dans l’état actuel de la science, de déterminer si les Colonies qui voyagent en certains tems, ne sont pas les unes composées de Fourmis, les autres de Thermes : il paroît assez probable que les Colonies, qui ne marchent que sous des chemins couverts, & qui percent tout ce qu’elles rencontrent, sont composées de Thermes ; tandis que celles qui marchent à découvert, qui se répandent dans les différentes parties d’une habitation, sont composées de Fourmis : leur taille bien plus forte, leur nombre bien plus grand dans les pays chauds que dans nos provinces, les mettent en état d’exercer des dégâts qu’elles ne peuvent causer dans nos contrées, où elles ne sont guère qu’incommodes ; car dans la campagne, elles font fort peu de tort aux végétaux ; & dans les maisons, quand elles y pénètrent, leurs dégâts consistent à infecter d’une odeur désagréable quelques comestibles auxquels elles ont touché, & en particulier les substances sucrées ; à faire aigrir les syrops, les gêlées, les confitures, &c.

Les derniers insectes dont il me reste à parler, sont les Sauterelles ; elles font quelque mal par-tout par leur voracité & se dégât qu’elles font des végétaux ; mais il y a des lieux où elles se multiplient au point d’y détruire absolument toutes les récoltes, comme il est arrivé deux fois à l’isle de Bourbon : ce qui est plus ordinaire, c’est qu’une espèce de ces insectes, que les naturalistes ont nommée Voyageuse, Migratoria, & peut-être plusieurs espèces, paroissent tout-à-coup dans différentes contrées, sans qu’on sache d’où elles viennent, qu’elles y dévastent toute la campagne, la dépouillent entièrement, & que l’aspect en devient subitement semblable à ce qu’il est dans l’hiver.

Cette apparition des Sauterelles est sur-tout fréquente dans les pays chauds, mais elle a quelquefois lieu dans les climats froids ; elles voyagent en volant à une médiocre hauteur, leur nombre est si grand, qu’elles forment un nuage qui répand au loin une ombre épaisse ; par-tout où ces nuages s’abattent, la destruction totale des végétaux est la suite de leur séjour. Ces passages sont souvent la cause de la disette & de la famine dans des contrées fort étendues, où les récoltes de toute espèce ont été détruites. On a remarqué que communément ces nuages formidables de Sauterelles sont emportés dans la suite de leurs voyages, par des vents qui les poussent sur des lacs ou sur la mer ; & qu’ils y périssent. Mais il arrive aussi quelquefois que les Sauterelles qui voyagent touchent au terme de leur vie sur le continent, alors leurs corps couvrent une grande étendue de terrein ; ils sont amoncelés, ils se corrompent, & il en exhale une odeur & des miasmes auxquels on a souvent attribué des maladies épidémiques qui ont succédé à l’apparition & à la mort des Sauterelles ; ainsi cet insecte, le plus formidable de tous, cause & la famine & la mortalité.

Après avoir reconnu les avantages que nous retirons de quelques insectes, les ravages qu’un très-grand nombre exerce, si nous cherchons quelle place ils occupent dans la nature, à quelle usage elle les destine, nous trouverons qu’en ne les considérant que séparément, qu’isolés, leur petitesse, leur manque de pouvoir, méritent l’oubli & le mépris dans lesquels ils sont auprès de la plupart des hommes : mais si nous les envisageons par masse, & si nous avons égard à la multiplicité des espèces, à leur prodigieuse fécondité, au nombre incalculable des individus, alors nous serons convaincus qu’ils occupent une très-grande place dans la nature, qu’ils sont un des puissans agens qu’elle fait servir à ses vues, & ils nous paroîtront à ces titres mériter toute notre attention. En effet, il est