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où avoient-ils appris aussi que le globe terrestre seroit consumé par les flammes, lors de la conjonction des astres dans le signe de l’écrevisse, & qu’il seroit inondé si cette conjonction arrivoit dans le signe du capricorne ? Cependant ces Chaldéens ont été estimés comme de grands astronomes ; & il n’y a pas même long-temps qu’on est revenu de cette admiration prodigieuse qu’on avoit conçue pour leur grand savoir dans l’astronomie, admiration qui n’étoit fondée que sur ce qu’ils sont séparés de nous par une longue suite de siècles. Tout éloignement est en droit de nous en imposer.

L’envie de passer pour le plus ancien peuple du monde, est une manie qui a été commune à toutes les nations. On diroit qu’elles s’imaginent valoir d’autant mieux, qu’elles peuvent remonter plus haut dans l’antiquité. On ne sauroit croire combien de rêveries & d’absurdités ont été débitées à ce sujet. Les Chaldéens, par exemple, prétendoient qu’au temps où Alexandre, vainqueur de Darius, prit Babylone, il s’étoit écoulé quatre cents soixante & dix mille années, à compter depuis le temps où l’astronomie fleurissoit dans la Chaldée. Cette longue supputation d’années n’a point sa preuve dans l’histoire, mais seulement dans l’imagination échauffée des Chaldéens. En effet, Callisthene, à qui le précepteur d’Alexandre avoit ménagé une entrée à la cour de ce prince, & qui suivoit ce conquérant dans ses expéditions militaires, envoya à ce même Aristote des observations qu’il avoit trouvées à Babylone. Or, ces observations ne remontoient pas au-delà de mille neuf cents trois ans ; & ces mille neuf cents trois ans, si on les fait commencer à l’année 4383 de la période Julienne, où Babylone fut prise, iront, en rétrogradant, se terminer à l’année 2480 de la même période. Il s’en faut bien que le tems marqué par ces observations remonte jusqu’au déluge, si l’on s’attache au système chronologique de Moyse, tel qu’il se trouve dans la version des Septante. Si les Chaldéens avoient eu des observations plus anciennes, comment se peut-il faire que Ptolémée, cet astronome si exact, n’en ait point fait mention, & que la première dont il parle tombe à la première année de Merdochai, roi de Babylone, laquelle se trouve être dans la vingt-septième année de l’ére de Nabonassar ? Il résulte de-là que cette prétendue antiquité, que les Chaldéens donnoient à leurs observations, ne mérite pas plus notre croyance que le témoignage de Porphyre qui lui sert de fondement. Il y a plus : Epigène ne craint point d’avancer que les observations astronomiques, qui se trouvoient inscrites sur des briques cuites qu’on voyoit à Babylone, ne remontoient pas au-delà de 720 ans ; & comme si ce temps eut été encore trop long, Bérose & Critodeme renferment tout ce tems dans l’espace de 480 ans.

Après cela, qui ne riroit de voir les Chaldéens nous représenter gravement leurs observations astronomiques, & nous les apporter en preuve de leur grande antiquité ; tandis que leurs propres auteurs leur donnent le démenti, en les renfermant dans un si court espace de tems ? Ils ont apparemment cru, suivant la remarque de Lactance, qu’il leur étoit libre de mentir, en imaginant des observations de 470 000 ans ; parce qu’ils étoient bien sûrs qu’en s’enfonçant si fort dans l’antiquité, il ne seroit pas possible de les atteindre. Mais ils n’ont pas fait attention que tous ces calculs n’opèrent dans les esprits une vraie persuasion, qu’autant qu’on y attache des faits dont la réalité ne soit point suspecte.

Toute chronologie qui ne tient point à des faits, n’est point historique, & par conséquent ne prouve rien en faveur de l’antiquité d’une nation. Quand une fois le cours des astres m’est connu, je puis prévoir, en conséquence de leur marche assujettie à des mouvemens uniformes & réguliers, dans quel tems & de quelle manière ils figureront ensemble, soit dans leur opposition, soit dans leur conjonction. Je puis également me replier sur les tems passés, ou m’avancer sur ceux qui ne sont pas encore arrivés ; & franchissant les bornes du tems où le Créateur a renfermé le monde, marquer dans un tems imaginaire des instans précis où tels & tels astres seroient éclipsés. Je puis, à l’aide d’un calcul qui ne s’épuisera jamais, tant que mon esprit voudra le continuer, faire un systême d’observations pour des tems qui n’ont jamais existé ou même qui n’existeront jamais. Mais de ce systême d’observations, purement abstrait, il n’en résultera jamais que le monde ait toujours existé, ou qu’il doive toujours durer. Tel est le cas où se trouvent par rapport à nous les anciens Chaldéens, touchant ces observations qui ne comprenoient pas moins que 470 000 ans. Si je voyois une suite de faits attachés à ces observations, & qu’ils remplissent tout ce long espace de tems, je ne pourrois m’empêcher de reconnoître un monde réellement subsistant dans toute cette longue durée de siècles ; mais parce que je n’y vois que des calculs qui ne traînent après eux aucune révolution dans les choses humaines, je ne puis les regarder que comme les rêveries d’un calculateur. (Cet article est de Diderot).


Pensées des Chaldéens sur les causes premières, ou la lumière & les ténèbres.

Ceux des enfans de Noé qu’un sort heureux laissa dans la Mésopotamie, n’eurent pas besoin de beaucoup de temps pour y affermir leur établissement. En descendant de l’arche, ils n’eurent qu’à user des arts qui en descendirent avec eux.

Parmi les différentes familles qui se portè-