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trop subtile pour Erasme, qui n’avoit point l’esprit philosophique : ce qui fait, ajoute M. le Clerc, que quelquefois il n’est pas tout-à-fait d’accord avec lui-même[1].

Le feu évêque de Sarum dans le même ouvrage où il soutient que tout homme éprouve au-dedans de lui-même le sentiment de sa liberté, est obligé de reconnoître, que ce sujet offre de toutes parts de grandes difficultés, & qu’il ne prétend point non plus les éclaircir ou les résoudre toutes.

Le fameux Bernardin Ochin savant auteur italien, a fait un traité très-subtil & très-ingénieux[2], intitulé Labyrinthi de Prædestinatione & liber arbitrio. Labyrinthi, hoc est, de libero aut servo arbitrio, de divinâ prænotione, destinatione, et libertate, disputatio, & quonam pacto sit ex iis labyrinthis exeundum, autore Bernardino Ochino Sanensi, nunc primùm ex italico in latinum translati. Basileæ, apud Petrum Pernam. Il y montre avec une grande force, que ceux qui soutiennent que l’homme agit librement, s’embarrassent dans quatre grandes difficultés & que ceux qui prétendent que l’homme agit nécessairement, tombent dans quatre autres embarras aussi grands, si bien qu’il forme huit labyrinthes, quatre contre le franc-arbitre, & quatre contre la nécessité. Il se tourne de tous les côtés imaginables pour tacher de rencontrer une issue, & n’en trouvant point, il conclut à chaque fois par une prière ardente adressée à Dieu afin d’être délivré de ces abîmes. Néanmoins dans la suite de l’ouvrage, il entreprend de fournir des ouvertures pour sortir de cette prison : mais il conclut que l’unique voie est de dire, comme Socrate, unum scio, quod nihil scio, tout ce que sais, c’est que je ne sais rien. « Il faut se taire, (dit-il) & juger que Dieu n’exige de nous ni l’affirmative ni la négative sur des points de cette nature. » Voici le titre de son dernier chapitre. Quâ viâ ex omnibus supradictis labyrinthis citò exiri possit, quæ docta ignorantiæ via vocatur, le chemin le plus court pour sortir de tous ces labyrinthes, appelé le chemin de la docte ignorance.

Un illustre auteur,[3] qui en appelle sans cesse à la commune expérience pour prouver la liberté

  1. Dans son expos. pag. 117.
  2. Bernardin Ochin a fait plusieurs ouvrages, dont la liste est insérée dans la Bibliothèque des Anti-Trinitaires. Bayle ne croit pas qu’il ait publié aucun ouvrage en latin : il composoit tout en italien & il trouvoit ensuite des traducteurs, le livre dont il s’agit ici, est dans ce cas.

    » Il n’y a qu’un jour, (dit Bayle, art. Bernardin Ochin, remarque P.) que j’ai parcouru les Labyrinthes traduits en latin : ils m’ont paru l’ouvrage d’un homme qui avoit l’esprit fort net & fort pénétrant ».

    Quant à la personne de cet auteur, voici ce que Bayle en dit dans le même article. Bernardin Ochin fut un de ces ecclésiastiques d’Italie, qui sortirent de leur pays au seizième siècle pour embrasser la religion protestante. Il étoit de Sienne : il avoit été d’abord été cordelier, puis capucin. Il demeura dans ce dernier ordre depuis l’an 1534 jusqu’à l’année 1542. Ceux qui ont dit qu’il en fut le fondateur ou l’un des quatre premiers qui s’y engagèrent, se trompent ; mais il est vrai, qu’il en fut élû général. Quelques-uns disent, qu’il avoit été confesseur & prédicateur du Pape. Il observoit sa règle avec une merveilleuse austérité, & il prêchoit avec un zèle incomparable ; & apparemment il ne songeoit à rien moins qu’à quitter son froc & son église, lorsque les conversations d’un jurisconsulte espagnol [ nommé Joannes Valdesius ] qui avoit pris goût en Allemagne a la doctrine de Luther, lui mirent des doutes dans l’esprit. Ce fut à Naples, qu’il parla avec ce jurisconsulte, & qu’il commença de prêcher des choses, qui paroissoient fort nouvelles. Il devint suspect, & il fut cité à la cour de Rome. Il y alloit, mais il trouva à Florence Pierre Martyr, son bon ami, auquel il communiqua les avis qu’il avoit reçus du hasard où il se mettoit en le livrant à la discrétion du pape. La chose bien examinée, ils résolurent tous deux de se retirer en pays de sûreté. Ochin partit le premier, & prit sa route vers Genève…

    Un continuateur de Baronius (Spontanus ad annum 1525 num. 27) assure qu’Ochin fit provision d’une femelle qui le suivit à Genève, & avec qui il se maria publiquement, afin de donner une preuve très-authentique de son renoncement à la papauté. Il ne se fixa point à Genève, il s’en alla à Ausbourg… Il fit le voyage d’Angleterre avec Pierre Martyr l’an 1547… Les changemens qui se firent dans la religion de ce pays-la, après la mort du roi Edouard, contraignirent ces deux docteurs d’en sortir. Ils repassèrent la mer l’an 1553 & se retirèrent à Strasbourg. Ochin étoit à Basle l’an 1555, mais il fut appellé la même année à Zurich pour y être ministre de l’église italienne qui s’y forma… Ochin chassé de Zurich & de Basle, à l’occasion de quelques dialogues qu’il avoit fait imprimer ; qui contenoient entr’autres erreurs, celle de la polygamie, se retira en Pologne à l’âge de soixante-seize ans, mais le nonce Commendon l’en chassa bien-tôt par l’édit qu’on accorda contre les hérétiques étrangers… Ochin s’en alla en Moravie, & y mourut peu après de la peste. On parle diversement des circonstances de sa mort, & l’on ne s’accorde pas sur les hérésies, qu’il embrassa depuis sa sortie de Suisse : les uns disent qu’il se fit anabaptiste après avoir prêché hautement l’héresie de Macedonius ; les autres disent en général qu’il combattit le mystère de la trinité. Les anti trinitaires le comprennent au nombre de leurs auteurs… C’est à tort que quelques-uns ont assuré qu’il étoit l’auteur du livre de tribus impostoribus

  3. Guillaume King, docteur en théologie, évêque de Londonderi. Voyez son ouvrage intitulé de origine mali, dont on donna une nouvelle édition à Breme, chez Philippe-Godefroi Saurman en 1704 (in-4°.) sur la copie de Londres. M. Leibnitz, dans ses remarques sur ce livre du docteur King, dit qu’il est plein de savoir & d’élégance.