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des extrémités de la terre, pour aller attaquer le temple de Delphes, & l’oracle d’Appollon Pythien qui est consulté & révéré par tous les peuples de l’Univers. Ces mêmes peuples, dont on nous dit qu’ils respectent la religion du serment, comme la chose du monde la plus sacrée, ont assiégé le Capitole, & ce Jupiter par le nom duquel nos ancêtres ont voulu que toutes les dépositions fussent confirmées. Enfin peut-il y avoir quelque chose de sacré pour des gens qui, lors même que la crainte de quelque fléau leur fait chercher les moyens d’appaiser les dieux, souillent les temples & les autels par des victimes humaines, & ne peuvent faire un acte de religion qui ne soit en même tems un crime, & un outrage fait à la religion ? En effet y a-t-il quelqu’un qui ne sache que les gaulois conservent jusqu’à ce jour la cruelle & barbare coutume d’immoler de hommes ? Quelles idées peut-on donc avoir de la foi & de la piété d’un peuple qui est dans l’opinion que les dieux peuvent être facilement appaisés par des crimes & par l’effusion du sang humain ! ».

Cicéron, qui plaidoit en faveur de Fonteius, vouloit empêcher que les juges ne fissent attention à la déposition d’une foule de témoins que l’on avoit fait venir des Gaules, pour justifier les faits dont il étoit accusé. Au lieu de fournir des reproches légitimes contre ces témoins, l’orateur romain se jette dans la déclamation, & profère de grands mots qui ne sont qu’une suite de paralogismes.

1o. Il me semble qu’il y a de la contradiction de soutenir que les gaulois étoient inaccessibles à toute crainte des dieux, & d’avouer, en même tems, qu’ils offroient aux dieux des victimes humaines. Il n’y a qu’une crainte excessive qui puisse porter si loin la superstition.

2o. Cicéron soutient que les gaulois attaquoient la religion de tous les autres peuples. Passons lui cette thèse, qui cependant auroit besoin de quelque restriction. Mais s’ensuit-il de-là que les Gaulois n’eussent eux mêmes point de religion ? Point du tout. Ils croyoient avoir la seule véritable. Ils déclaroient la guerre aux dieux des grecs & des romains, parce qu’ils les regardoient comme de fausses divinités, qui n’existoient que dans l’imagination déréglée de leurs adorateurs. Ils détruisoient les temples & les idoles, parce qu’ils regardoient comme une impiété, de renfermer la divinité dans des murailles, & de la représenter sous la forme de l’homme. Leur cas étoit donc à peu près le même que celui des Iconoclastes, que l’on a accusés d’impiété & d’athéisme, avec aussi peu de fondement que les gaulois. Le zèle des uns & des autres pouvoit être aveugle & outré. Au lieu de briser les images & les statues, qui sont l’objet du culte religieux d’un idolâtre, il vaudroit mieux arracher de son esprit la fausse idée qu’il s’est faite de la divinité, & de la dévotion superstitieuse qu’il témoigne pour les images. Mais il n’y a que des déclamateurs, qui puissent confondre un Iconoclaste avec un athée & un impie.

3o. J’avoue enfin que les gaulois offroient à leurs dieux des victimes humaines : mais, si la conséquence que Cicéron prétend tirer de-là étoit juste, il faudroit en conclure qu’il n’y avoit absolument ni foi, ni religion dans le monde, parceque cette horrible superstition, au lieu d’être particulière aux Celtes étoit commune à tous les peuples de la terre. Nous verrons même, en son lieu, qu’avant & après le tems de Cicéron, les romains ont commis en plusieurs occasions le même sacrilége.

Non seulement les peuples Celtes reconnoissoient tous une divinité, on leur rend encore le[1] témoignage qu’ils étoient fort attachés au culte de leurs dieux. Le respect qu’ils avoient pour leurs cérémonies étoit si grand,[2] que dans une longue suite de siècles, ils n’avoient pû se résoudre à y changer la moindre chose. Il faut d’ailleurs que, leur culte parût édifiant aux étrangers, puisque les cérémonies les plus vénérables de la Grece, & en particulier, celles que l’on célébroit avec tant de pompe &[3] Eleusis, ville de l’Attique, y avoient apportées de Thrace. On prétend même que toute la religion, & toutes les superstitions des grecs, venoient originairement du même pays. C’est ce qu’insinuent, selon Plutarque,[4] & Suidas, le mot de θρησκεύειν, qui désigne en grec, tantôt le service religieux que

  1. Domus iis (Hyperboreis) nemora, lucique, & Deorum cultus viritim gregatimque. Plin. hist. nat. lib. 4. c. 12. p. 471. Silures Deos percolunt. Solin. cap. 35. p. 252. Natio est omnis Gallorum admorum dedita religionibus. Cæsar 6. 16. Religionis haud quaquam negligens est gens Gallorum. Livius 5. cap. 46
  2. Nec potuit longa seculorum series ad hunc usque diem efficere, ut patrios Deorum cultus dediscerent, aut mutarent aliquid in ceremuniis Deorum, vel Ægyptii, vel Afri, vel Celtæ, vel Scythæ, vel Indi, vel denique (ut paucis rem expediam) ulla alia gens barbara, præter quosdam qui in aliorum potestatem quondam redacti, coacti sunt victorum ritus recipere. Dionys. Halic. 7. 474.
  3. Sacra Eleusinia ab Eumolpo ex Thracia Athenas allata. Plutarch. de Exul. T. 2, p. 607., Eumolpo Thrax Athenis mysteria (τελετὴν) constituerat. Lucianus Demonax. p. 552.
  4. θρησκεύειν comme qui diroit imiter les Traces. Unde θρησκεύειν dictio tributa est, immodicis & superstitiosis sacrificiis. Plutarch. Alexand. p. 665.