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sorte de liberté : ces différences même de degré, qui ne changent rien à leur essence, ne sauroient mettre entre l’homme & la bête,[1] c’est-à-dire, entre deux êtres doués de sentiment, une disparité telle qu’elle fasse de l’un un agent libre, & de l’autre un agent nécessaire : de même que cette diversité de degré dans les facultés[2] & dans les organes des diverses espèces de bêtes telle que celle que les oiseaux, les poissons & les reptiles, ne peut influer en manière quelconque sur la nature & sur l’essence de leurs actions. Ainsi je n’ai pas besoin ici de recourir d’un côté aux actions des animaux les plus subtils,[3] tels que le renard, le castor, &c. & de l’autre[4] à celles des enfans, qui, de l’aveu même des partisans de la liberté, sont des agens absolument nécessaires ; je me contenterai de faire quelques questions par rapport à ces derniers.

1o. Jusqu’à quel âge les enfans continuent-ils d’être des agens nécessaires ?

2o. Quand deviennent-ils véritablement libres ?

3o. Quelle différence y a-t-il entre les affections, les sentimens qu’ils éprouvent à l’âge où on les suppose libres, & ceux qu’ils éprouvent tandis qu’ils étoient déterminés nécessairement ?

4o Quelles sont précisément les actions auxquelles on peut reconnoître qu’ils sont des agens néceftaires à un certain âge, & celles par le moyen

  1. Les actions des animaux, qui nous paroissent les plus spirituelles, les actions des hommes mêmes ne prouvent point la présence d’une ame, comme l’immobilité qui nous paroît la plus stupide n’en prouve pas l’absence : ce qui constitue l’ame, c’est le sentiment du soi, dont nous ne pouvons juger que pour nous : il nous est donc impossible de prouver directement que les bêtes ont une ame, ou de prouver qu’elles n’en ont point ; nous n’en pouvons juger qu’obliquement & par analogie, à-peu-près comme nous jugeons des habitans des planetes. Voyez les lettres de M. de Maupertuis, 2e édit. in-16, à Berlin, (Paris, Durand 1753) let. 5. pag 41.
  2. « Qu’appercevons-nous chez elles (les brutes) ? des actions suivies, raisonnées, qui expriment un sens & qui représentent les idées, les desirs, les intérêts, les desseins… il est vrai qu’elles ne parlent pas. Cette disparité entre les bêtes & l’homme vous servira tout au plus à prouver qu’elles n’ont point comme lui des idées universelles, qu’elles ne forment point de raisonnemens abstraits ; mais elles agissent d’une manière conséquente. Cela prouve qu’elles ont un sentiment d’elles mêmes, & un intérêt propre, qui est le principe & le but de leurs actions… Elles ont une correspondance avec les hommes, témoins les chevaux, les chiens, &c. On les dresse, ils apprennent : on leur commande, ils obéissent… ils aiment, ils haïssent… la les animaux paroissent réfléchir sur les objets, rappeler le passé, prévoir l’avenir, tirer des conséquences de ce qu’ils ont vu à ce qu’ils n’ont point vu ; on les voit, logiciens & politiques nouveaux, profiter de l’expérience, conclure juste de certains principes, imaginer des ruses, former & conduire un dessein avec la dernière finesse & donner souvent le change aux hommes, en ce cas là plus bêtes qu’eux » Essai philosophique sur l’ame des bêtes, tom. 1. part. 1 chap. 6. pag 98 & suiv. Voyez aussi tout le chap. 7 du même essai ; & le traité de la connoissance des animaux, par de la Chambre.
  3. Hæc animalibus inest cunctis, nec inseritur sed innascitur… Sine ullà cogitatione, sine consilio fit quidquid natura præcepit. Non vides quanta sit subtilitas sit apibus ad fingenda domicilia ? quanta dividui laboris obeundi concordia ? Non vides quam nulli mortalium imitabilis fit illa araneæ textura ? quanti operis fit fila disponere, alia in rectum, &c. Nascitur ars ista, non discitur ». Sénèque, epist. 121.

    « Corpora quidem magnitudine, viribus, firmitate, patientià, velocitate præstantiora in illis mutis videmus… moliri cubilia, et nidos texere, et educare fœtus, et excludere : quin etiam reponere in hiemem alimenta ; opera quædam nobis inimitabilia, qualia sunt cerarum et mellis, efficere, non nullius fortasse rationis est ». Quintil. 2, instit. orat. c. 16.

    Voyez Aristote, hist. animal. Elien, de nat. animal cap 11, Pline hist. nat. cap. 1. init. Grotius, de jure belli & pacis, disc. prælim. § 7, avec les notes sur la sociabilité des bêtes ; Bayle dict. crit. art. Barbe, Rem. C. Les histoires des insectes, par M. de Reaumur ; le mémoire de M. Bon sur la soie d’araignée, dans les mémoires de l’académie royale des sciences, an. 1710, & des observations curieuses sur les castors qui se trouvent dans une lettre de M. Sarrazin à M. de Tournefort, insérée dans les mémoires de l’académie royale des sciences, an. 1710, p. 82.

  4. « Conformément aux vrais principes de la physique, il paroît, que l’état de veille ou celui de sommeil, une passion, ou une fièvre chaude, l’enfance & l’âge avancé sont des choses, qui ne diffèrent que du plus ou du moins, & qui ne doivent pas, par conséquent, emporter une différence essentielle, telle que seroit celle de laisser à l’homme sa liberté ou de ne la lui pas laisser. » Voyez dans les nouvelles libertés de penser déjà citées, le Traité de M… sur la liberté, part. 4. p. 132. « Les philosophes sont hors d’état de prouver, que l’ame de l’homme & l’ame des bêtes soient de différente nature. Qu’ils disent & qu’ils répètent mille & mille fois : celle de l’homme raisonne & connoît les universaux & le bien honnête, celle des bêtes ne connoît rien de tout cela : nous leur répondons, ces différences ne sont que des accidens, & ne sont point une marque d’une distinction spécifique entre des sujets. Aristote & Ciceron à l’âge d’un an n’avoient point eu de pensées plus sublimes que celles d’un chien, & s’ils eussent vécu dans l’enfance 30 ou 40 ans, les pensées de leur ame n’eussent été que des sensations & de petites passions de jeu, & de gourmandise : c’est donc par accident qu’ils ont surpassé les bêtes, c’est à cause que les organes, dont leurs pensées dépendoient, ont acquis telles ou telles modifications, à qui les organes des bêtes ne parviennent pas. L’ame d’un chien dans les organes d’Aristote & de Ciceron n’eût pas manqué d’acquérir toutes les lumières de ces grands hommes ». Bayle, dict. crit. art. Rorarius. Rem. E.