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ne sauroit rejetter les choses propres à flatter ses passions, ses appétits ou sa raison. S’il lui arrive quelquefois de suspendre son choix par rapport à un objet qui se présente à lui comme agréable : c’est qu’alors il doute, il balance, & qu’il examine d’abord si cet objet, tout considéré, est capable de le rendre heureux ; c’est que se sentant en même-tems sollicité par sa raison, ses sens, ses appétits & ses passions, il souhaiteroit faire le meilleur choix possible, enfin un choix qui satisfît également son cœur & son esprit, ou du moins qui satisfît celle de ces deux facultés qui lui semble la plus nécessaire à son bonheur. Si, par hasard, son choix tombe sur un objet qui, par l’événement, se trouve disgracieux, l’expérience qu’il en fait sert à le précautionner pour l’avenir, & le mettre en état de faire une autre fois un choix plus satisfaisant pour lui. Ainsi, dans ce cas-là même, son malheur tourne à son profit, & il est vrai de dire que, dans tous les tems & dans toutes sortes de circonstances, il recherche, il obtient le plus grand bonheur que sa situation actuelle puisse comporter.

Il ne sera pas inutile de remarquer ici que, parmi les plaisirs que les objets extérieurs[1] procurent tous les jours à l’homme, plusieurs sont si fort éloignés d’être l’effet de son propre choix, qu’ils ne sont pas même le fruit de la plus légère méditation ou de la moindre opération précédente de sa part. Tel est, par exemple, le cas d’un homme qui rencontre un trésor sur sa route, ou celui d’un particulier qui reçoit un legs d’une personne inconnue.

Je soutiens en second lieu, que cette faculté de choisir arbitrairement, exposeroit l’homme à faire des choix pires que ceux qu’il feroit en vertu d’une détermination nécessaire. Et en effet, un homme nécessairement déterminé dans son choix par les apparences des objets, & en conséquence de l’état actuel de ses organes & de son entendement, ne risque autre chose que de se méprendre sur le degré de relation des choses avec lui, au lieu qu’un être absolument indifférent à tous les objets, & qu’aucun motif ne dirige dans le choix qu’il en fait, choisit à l’aventure. Le seul cas où il puisse faire un bon choix, c’est lorsqu’il lui arrive, comme la définition du docteur King le fait assez entendre, de préférer un objet qu’il puisse, en vertu de sa faculté créative, rendre agréable, de façon que son choix soit réellement louable & digne d’être approuvé. Cette prétendue faculté, d’ailleurs, loin de tirer aucun avantage de l’expérience, doit naturellement continuer toujours à faire des choix à l’aventure, & à n’en faire de bons qu’en conséquence d’un heureux concours de circonstances ; car, si elle profitoit de l’expérience, & si elle avoit quelque égard à ce que les objets peuvent offrir d’agréables ou de disgracieux, elle cesseroit d’être une faculté telle que le docteur King la conçoit, & ne seroit plus qu’une simple faculté nue & affectée par la nature réelle ou apparente des objets.

Il est donc hors de doute que l’homme supposé indifférent à tous les objets, devroit faire des choix pires que le même homme considéré comme un agent nécessaire ; de même qu’il est incontestable que la faculté de choisir à l’aventure & sans le moindre motif, expose à des choix pires que l’usage nécessaire de nos sens, de notre expérience & de notre entendement.

En troisième lieu, il est évident qu’une pareille faculté de choisir arbitrairement entre plusieurs objets, sans aucun égard à leurs qualités, détruiroit absolument l’exercice naturel de nos sens, de nos appétits & de nos passions, qui nous ont été donnés pour nous aider dans la recherche de la vérité & du bonheur, & pour assurer la conservation de notre être. En effet, si l’homme jouissoit du pouvoir de choisir sans aucun égard aux inspirations ni aux avertissemens que ses sens & sa raison lui administrent tous les jours ; si son choix subjuguoit également son cœur, son esprit & ses sens, tout ce dont il pourroit se vanter, ces seroit d’avoir la faculté de ne point suivre, quand il le voudroit, le dictamen de sa conscience.

De la perfection de la nécessité.

Pour achever de nous convaincre de l’imperfection de la liberté, en tant qu’elle exclut toute nécessité, attachons-nous un instant à considérer la perfection, qui suit naturellement d’une détermination nécessaire. En effet, peut-on dire qu’une chose soit parfaite lorsqu’elle n’est point telle nécessairement ? Tout ce qui n’est point nécessairement parfait, peut être imparfait, & dès-là l’est réellement.

N’est-ce point une perfection dans Dieu, que de connoître nécessairement toute vérité ? N’est-ce pas aussi une perfection en lui, que d’être néces-

sairement

    loin qui règlent leurs mouvemens ». Voyez la lettre de Trasibule à Leucippe, traduite sur la version angloise de l’original grec du 2e siècle.

  1. Quis animo amplectitur aliquid quod eum non delectat ? aut quis habet in potestate, ut occurat quod eum delectare possit, vel delectet cum occurerit. S. Aug. lib. 1. quœst. 2. ad. Simplician. n. 21.

    Voluntas ipsa, nisi occurerit quod delectet, atque invitet animum, moveri nullo modo potest. Hoc autem ut occurat, non est in hominis potestate. Ibid. n. 22.

    Quis nescias, non esse in hominis potestate quid sciat, nec esse consequens, ut quod appetendum cognitorum fuerit, appetatur, nisi tantum delectes, quantum diligendum est. Idem, lib. de Spiritu & lit. c. 39.