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existence parce qu’elle est l’effet de sa volonté suprême, son décret rend alors cette existence nécessaire ; car il seroit absurde qu’un être tout-puissant voulût une chose qui ne dût pas nécessairement exister. Si au contraire il prévoit cette existence parce qu’elle dépend de ses propres causes, cette sorte d’existence n’en est pas pour cela moins nécessaire : car, puisque les causes & les effets ont ensemble un rapport nécessaire, & dépendent absolument les uns des autres, il ne seroit pas moins contradictoire que des causes ne produisissent point leurs effets,[1] qu’il le seroit qu’un événement que Dieu voudroit, n’existât point nécessairement.

On lit dans les œuvres philosophiques de Ciceron plusieurs passages qui peuvent servir à prouver ce que j’avance ici : « Comment, dit-il dans son traité de la divination, « est-il possible de prévoir l’existence future d’une chose dont nous ignorons la cause, ou plutôt qui n’en a aucune ?… Quelle est donc la manie de ceux qui attribuent certains événemens au hasard ou à la fortune ?… Fut-il jamais d’idée plus extravagante & plus déraisonnable ? Jamais on ne parviendra à me[2] persuader que Dieu puisse prévoir des choses qui doivent arriver par un pur hasard En effet, s’il connoît ces choses, elles doivent nécessairement exister un jour ; or, si leur existence est certaine, il n’y a donc plus de fortune : mais, selon vous, il y en a une ; donc ces choses, que vous supposez fortuites, ne sauroient être prévues ni pressenties. »

L’illustre auteur de la réformation,[3] Luther, s’exprime ainsi dans son traité contre le libre-arbitre : «La prescience & la toute-puissance de Dieu une fois admises, il s’ensuit, par une conséquence naturelle & irrésistible, que nous ne nous sommes point faits nous-mêmes, que nous n’agissons qu’en vertu de sa toute-puissance. S’il est vrai qu’il nous ait créés tels que nous sommes, & qu’il nous meuve, nous détermine tous les jours de telle manière : je ne vois point comment la liberté pourroit avoir lieu


    moins de supposer une chaîne de causes nécessaires : (vous avouez donc la dette, M. Clarke ?) « nous pouvons cependant nous en faire quelque espèce d’idées générales. Il peut arriver qu’un homme intelligent connoisse par avance ce qu’un autre homme, sur les actions duquel il n’a pourtant aucune influence, fera en certains cas. Un second, qui a plus de pénétration & d’expérience que le premier, peut prévoir plus probablement encore ce que fera, en certaines circonstances, une personne dont les dispositions lui sont parfaitement connues. Nous concevons qu’un ange peut pénétrer plus avant encore dans les actions futures de l’homme & avec un plus grand degré de certitude ». (Mais que feroient tous ces différens degrés de pénétration & de sagacité, si les actions qu’il s’agit de prévoir n’étoient point nécessaires ? Dans un pareil cas, l’ange seroit tout aussi avancé avec toutes ses lumières, que l’être le plus bornée. Il n’y auroit pas même d’exception en faveur de l’être suprême). « Or cela étant ainsi, il est très-raisonnable de concevoir qu’à plus forte raison Dieu, dont la nature est infiniment plus parfaite, peut par sa prévision avoir une connoissance beaucoup plus certaine (mais toujours fondée sur la nécessité de la chose prévue) des événements libres, » [permettez-moi de vous dire que le mot libre est ici de trop, & implique contradiction.] qui sont à venir, que n’est celle que les hommes ou les anges sont capables d’en avoir. Il nous est impossible, à la vérité, d’expliquer distinctement comment il prévoit cet ordre d’événemens, [Je n’ai pas de peine à le croire] supposé que ces deux choses [la prescience & la liberté] fussent réellement incompatibles, & que l’une des deux dût être anéantie : qui ne voit que l’introduction d’un destin absolu & universel, le tombeau & l’extinction entière de la religion & de la morale, feroit une brèche à la gloire de Dieu, bien plus considérable que ne feroit la négation de la prescience qui dans cette supposition seroit impossible & contradictoire ? En ce cas-là un homme qui nieroit la prescience de Dieu, ne lui raviroit pourtant pas sa toute-puissance, [mais voilà un expédient qui ne remédieroit à rien, puisque ce n’est pas la prescience qui cause la nécessité des événemens, & qu’elle peut être anéantie, sans que sa cause, je veux dire la nécessité le soit : car on n’a jamais dit que l’inverse de cette proposition, sublatâ causâ tollitur effectus, pût avoir également lieu… Voyez le traité de l’existence & des attributs de Dieu. chap. II. prop. 10. pag. 228. & suiv. & les nouveaux essais de M. Chub, ci-dessus cités.

  1. Quicumque unquam effectus productus sit, productus est à causâ necessariâ. Nam quod productum est, causam habuit integram, hoc est, omnia, ea quibus suppositis, effectum non sequi, intelligi non possit : ea vero causa necessaria est. Voyez Hobbes. Philosoph. prim. chap. 9 & Leviathan, or the matter, forme, & Power of a commun-wealth Ecclesiast. and civil. (London 1651. 1 vol. in-4.) part. 2. chapitre 21. page 107, & suiv.
  2. Qui potest provideri quicquam futurum esse, quod neque causam habet ullam, neque notam, cur futurum sit ? Quid est igitur,quod casu fieri aut forte fortunâ putemus ?… Nihil enim est tam contrarie rationi & constantie, kwam fortuna ; ut mini ne in Deum coder videatur, ut sciat qui casu & fortuito futurum sit : si enim scit, certe eveniet ; sin certe eveniet, nulla est fortuna. Est autem fortuna. Rerum igitur futurarum nulla est praesensio. De divin. c. 2.
  3. Concessa igitur præscientia Dei & omnipotentia, sequitur naturaliter irrefragibili consequentia, nos per nos metipsos non esse factos, nec vivere, nec agere quicquam, sed per illius omnipotentiam. Cum autem tales nos ille præscierit futuros, talesque nunc faciat, moveat & gubernet : quid potest fingi, quæso, quod in nobis liberum sit, aliter et aliter fieri, quam ille præscierit aut nunc agat ? Pugnat ergo ex diametro præscientia & omnipotentia Dei cum nostro libero arbitrio. Aut enim Deus falletur præsciendo, errabit et agendo… aut nos agemus & agemur secundum ejus præscientiam & actionem.