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leur systême : ils ont,[1] par exemple, appelé analogiques, les peines & les récompenses que l’on emploie à l’égard des brutes : ils viennent vous dire très-sérieusement que les coups & les alimens qu’on donne aux bêtes ne sont que des ombres, des figures de récompenses & de châtimens. Ce qui n’empêche cependant pas que les supplices infligés aux animaux ne soient même de quelque relativement à leurs semblables. En effet, nous lisons dans Rorarius[2] que certains peuples d’Afrique sont dans l’habitude d’attacher les lions à des croix, afin d’épouvanter les autres & les éloigner des villes ; le même auteur nous apprend, qu’en voyageant dans le pays de Juliers, il avait observé que la coutume des habitans étoit de pendre les loups, afin de mettre leurs troupeaux en sûreté. En Angleterre, les gens de la campagne n’ont-ils pas toujours soin de pendre au milieu de leurs champs des geôles & des corneilles, pour préserver leurs grains des déprédations de ces animaux, de même que nous pendons les meurtriers pour détourner les autres du même crime, & pour assurer le repos de la société civile ? Mais qu’ai-je besoin de descendre jusqu’aux brutes pour prouver l’utilité des loix pénales relativement à des êtres nécessaires ? Les châtimens ne sont pas même sans effet par rapport aux imbéciles & aux insensés : ils servent à les contenir jusqu’à un certain point : les châtimens enfin ne sont-ils point un des moyens les plus efficaces dont se servent les pères & les mères pour former l’esprit de leurs enfants & pour les retenir dans le devoir ? Il est vrai qu’en général les peines font plus d’impression sur les enfans que sur les personnes faites, & qu’elles ont plus de pouvoir & plus d’influence sur leurs mœurs & sur leurs actions, que sur celles des hommes faits, dont on a plus de peine à déraciner les mauvaises habitudes ; autre raison qui devroit bien convertir nos adversaires, & achever de les convaincre de l’utilité des loix pénales par rapport à des êtres nécessaires.


Troisième objection.

« Si les hommes sont des agens nécessaires, les raisonnemens, les conseils, les avertissemens, les réprimandes, les louanges, tout cela est donc superflu à leur égard. »

[3] À cette objection voici ma réponse. J’ai toujours pensé que les différens motifs dont on vient de faire l’énumération, étoient des causes nécessaires qui contribuoient à déterminer certaines personnes à faire ce que nous souhaitons d’elles ; que par conséquent chacun d’eux avoit son utilité, puisqu’ils influoient tous sur la volonté des agens nécessaires, dont ils déterminoient nécessairement les actions, au lieu que ces mêmes motifs seroient tout-à-fait inutiles si les hommes étoient libres, ou si leurs volontés ne pouvoient jamais en être affectées. Ainsi les auteurs d’une pareille objection tombent, sans y songer, dans une double absurdité, en soutenant, d’un côté, qu’une cause qui ne produit aucune action, & qui n’influe point sur la volonté, est utile, &, de l’autre, qu’une cause, dont l’effet est nécessaire, est inutile.

Quant aux louanges, elles demandent quelques réflexions particulières. De tout tems l’on a comblé d’éloges les hommes pour des actions généralement réputées nécessaires. Les poëtes épiques, par exemple, qui sont comme les panégyristes des grands hommes, se sont fait une espèce d’habitude, qui est devenue une loi, d’attribuer les actions glorieuses & courageuses de leurs héros à quelque divinité qui les protège & qui les accompagne par-tout.[4] Homère donne presque à chacun de ses héros un dieu ou une déesse, qu’il charge du soin de le suivre dans les combats & de l’aider dans le malheur. Virgile nous représente

  1. Voyez les œuvres de Bramhall, page 685.
  2. Rorarius, lib. 2. pag. 109. Voyez le dict. crit. de Bayle, art. Rorarius, Rem. C. D. E. E. F.
  3. Voyez, ci-dessus, la note 54.
  4. Entre plusieurs passages que je pourrois rapporter pour confirmer ce que j’avance, je me bornerai à ceux-ci. Hom. Odiss. liv. 1. Minerve mit dans le cœur de Télémaque de la force & de la hardiesse.
    Ibid. liv 2.

    Donec illa hunc habebit animum, quem quidem nunc illi
    In pectoris posuenrunt dei.


    Ibid. liv. 24.

    Immortalis autem Deus aliquando quidem ante Ulyssem
    Apparebat audaciam acuens, aliquando procos turbans
    Currebat in domum.


    Ibid. vers la fin du même livre,


    Inspiravit rober magnum Pallas Minerva.

    Multos & nostra civitas & Græcia tulit singulares vilos, quorum neminem nisi juvante deo talem fuisse credendum est. Quæ ratio poetas maximèque Homerum impulit, ut principibus heroum Ulyssi, Diomedi, Agamemnoni, Achilli certos Deos discriminum & periculorum comites, adjungeret Cic de nat. Deor. n. 46.