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& accompagné, il n’est pas du tout possible alors, pour peu qu’on ait l’esprit juste, de concevoir que sa mort ait pu arriver dans un autre lieu, de même qu’il est impossible que deux fois deux fassent six. Il est à propos d’observer ici que, supposer les circonstances d’une action possible différentes de celles qui la précèdent & qui l’accompagnent, c’est avancer une contradiction, une absurdité. En effet, comme toutes les actions possibles ont chacune leurs circonstances[1] particulières, il est aussi impossible qu’aucune de ces circonstances vienne à manquer, qu’il l’est que deux fois deux fassent six.


Opinions des savans sur la liberté.

Après avoir, à ce qu’il me semble prouvé avec la dernière évidence la proposition que j’ai avancée, & avoir répondu d’une manière satisfaisante aux plus fortes objections qu’il soit possible de me faire, il ne me reste plus qu’à rendre compte en peu de mots des opinions des savans sur cette importante question, & à confirmer ainsi la mienne par des autorités vis-à-vis des personnes qui ne se rendent qu’aux autorités dans les matières de spéculation.

La liberté, la nécessité, le hasard ont été le sujet des disputes des philosophes de tous les âges ; & la plupart d’entr’eux[2] se sont hautement déclarés pour le systême de la nécessité & ont nié formellement l’exigence de la liberté & celle du hasard.

Les questions concernant la liberté & la nécessité ont aussi donné lieu à une infinité de débats entre les théologiens dans les différens siècles de l’église, sous les noms de franc arbitre & de prédestination.[3] Ceux d’entre ces derniers qui ont nié le franc arbitre, & qui ont soutenu la prédestination ou la prémotion physique, en adoptant les raisonnemens des anciens philosophes, les ont fortifiés par des considérations tirées[4] de plusieurs points de doctrine particuliers à la religion chrétienne. Quant au hasard, au sort & à la fortune, il n’y a pas, je crois de théologien qui ne les ait regardés comme des mots vuides de sens.

Plusieurs églises chrétiennes ont même poussé, à cet égard, le zèle jusqu’au point de condamner la doctrine du libre arbitre comme hérétique ; la réjection de ce point de doctrine est même devenu un des articles de foi de diverses églises.[5]

Dans de pareilles circonstances, il est clair que les partisans de l’opinion que je défends ont pour eux l’autorité d’un aussi grand nombre d’hommes savans & religieux, que les partisans de l’opinion contraire.

Mais aussi, comme je n’ignore pas que l’on trouve en général fort peu de gens disposés à se laisser ébranler par l’autorité de ceux qui font profession de soutenir des sentimens opposés aux leurs, quoique ce soit toujours l’autorité de quelque personne qui les porte à embrasser une opinion préférablement à une autre ; je consens volontiers à renoncer à tout l’avantage que je pourrois tirer de l’autorité des philosophes & des théologiens dont les sentimens s’accordent manifestement avec le mien ; par cette raison je me dispenserai d’entrer dans un plus grand détail à leur sujet : je me contenterai de faire ici usage de l’autorité de ceux qui ont maintenu le systême de la liberté. Au fonds, parmi ceux qui pensent ainsi, il y en a fort peu qui soient réellement contraires à l’opinion que je défends : après un examen sérieux & réfléchi, il est aisé de se convaincre que la plupart de ceux qui soutiennent la liberté, quant aux mots, la nient quant à la chose, lorsque l’on vient à fixer l’état de la question. En effet, qu’on se donne la peine de suivre les raisonnemens des auteurs les plus subtils qui ont écrit en faveur de la liberté, ou d’argumenter avec ceux qui prétendent que[6]

  1. Le rapport des moyens à leur fin n’est pas plus arbitraire que celui des effets avec leur cause… Il est impossible que les mêmes moyens ayent des rapports également directs, également naturels & nécessaires avec deux fins différentes. Voyez le traité de l’incertitude morale, [chap. 6] qui est à la tête de l’essai philosophique sur l’ame des bêtes, par M. Boullier, édit. Amsterdam 1737.
  2. Voyez l’histoire critique de la philosophie, par M. Deslandes, tom. 1 & 2.
  3. Voyez le dictionnaire hist. & crit. de Bayle, art. saint Augustin, remarque E. & G. [tom. I. 5. édit.] art. Bellarmain, rem. G. art. Pauliciens, rem. K. AA. & l’art. Rorarius, rem. F.
  4. On peut consulter saint Augustin en différens endroits de ses ouvrages, principalement, de gest. Pelag. c. 26. & 28. & l. 2. Operis. imperf. contra. Jul. n. 12. p. 960. l. 3. n. 1. p. 1053. l. 3. n. 166. p. 1215. l. 4. n. 8. p. 1140. l. 5. n. 4. p. 1225.
  5. Il ne faut pas croire que les PP. du concile de Trente soient fort éloignés de cette manière de penser ; pour s’en désabuser, on n’auroit qu’à bien peser un passage du catéchisme de ce concile, in art. Symboli Credo in Deum Patrem omnipotentem creatorem cœli & terrœ
  6. Voyez le volume qui comprend toutes les pièces de la dispute entre M. Bramhall, évêque de Derry, & M. Hobbes, lequel parut, pour la première fois, imprimé à Londres en 1656, & qui porte pour titre, Questions touchant la liberté, la nécessité & le hasard, éclaircies & débattues entre le docteur Bramhall… & Thomas Hobbes de Malmesbury. Il y en a une édi-