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ne peut l’excuser que par son à peu-près, qui lui avoit été suggéré, selon les apparences, par quelques Gaulois qui crurent lui faire leur cour en rapprochant, autant qu’il étoit possible, la religion des vaincus, de celle du vainqueur. Il suffit au reste de lire avec quelque attention cet endroit de Jules César, pour reconnoître qu’il se réfute lui-même. Il assure, à la vérité, que les Gaulois pensoient sur le sujet de Mercure, d’Apollon, de Mars, de Jupiter, de Minerve, à peu-près de la même manière que les autres peuples ; mais il avoue, en même-tems, que, selon les Gaulois, Mercure étoit l’auteur du genre humain ; que Jupiter n’avoit l’empire que des choses célestes. On verra, à mesure que j’aurai occasion d’expliquer tout cela, combien la théologie des Gaulois différoit de celle des étrangers.

Puisque les Celtes adoroient des dieux spirituels & invisibles, on peut en conclure qu’on les a accusés mal-à-propos de défier les élémens, & de leur rendre, en conséquence, un culte religieux. Nous verrons ce qui servoit de fondement à cette imputation. Ils croyoient que l’être éternel avoit uni à chaque portion de la matière un esprit capable de donner des instructions, & d’accorder des graces à ceux qui le servoient avec la dévotion qui lui étoit dûe. Mais ils récrioient contre ceux qui leur imputoient d’adorer l’objet qui tombe sous les sens ; & d’ailleurs puisqu’ils accusoient d’extravagance & d’impiété ceux qui servoient des dieux visibles & corporels, ils établissoient, par cela même, qu’aucune des choses que l’on découvre des yeux du corps, ne peut être une divinité.

Enfin, puisque les Celtes ne vouloient pas que l’on représentât la divinité sous une forme corporelle, il en résulte naturellement que les images, les statues & les idoles n’appartiennent pas à l’ancienne religion de ces peuples. Par-tout où l’on en trouve, la religion étoit déjà altérée & corrompue par le mélange d’un culte étranger. Aussi verra-t-on que, dans les tems les plus reculés, le service des images & des idoles n’était connu ni en Espagne, ni dans la grande Bretagne, ni dans aucune autre partie de l’Europe.

Quoique les Celtes adorassent des dieux spirituels & invisibles ils ne laissoient pas aussi d’avoir une profonde vénération pour les élémens, & pour toutes les différentes parties du monde visible. On en trouvera une infinité de preuves & d’exemples dans ce que je dirai de leurs superstitions, & du culte religieux qu’ils rendoient au feu, à l’Eau, aux Vents, à la Terre, aux Arbres, aux Rochers, &c. Cependant, pour mettre le lecteur au fait de ce point capital de la religion des Celtes, il faut alléguer ici quelques preuves générales de ce que j’avance. J’ai rapporté ci-dessus un passage d’Hérodote, qui dit que les Scythes servent sur-tout Vesta, ensuite Jupiter, la Terre, Apollon, Venus-Uranie, Mars, Hercule, & Neptune, appellant dans leur langue, Vesta Tabiti, Jupiter Papeus, la Terre Apia, Apollon Oetosyrus, Venus-Uranie Artimpasa, & Neptune Thamimasades. Vesta étoit l’Élément du Feu, Thamimasades celui de l’Eau, Apia la Terre, Oetocyrus le Soleil. Artimpasa étoit peut être[1] la Lune. L’Historien ajoute que les Scythes sont cependant dans l’opinion, qu’il ne faut consacrer des simulacres, des temples & des autels qu’à Mars. Nous verrons en son lieu, que le Simulacre de Mars étoit une épée, ou une halebarde, l’autel un tas de faisceaux, & le temple une campagne, un lieu découvert. Il suffit de remarquer ici que les Scythes joignoient au culte de Mars, qui étoit leur grande Divinité, celui du Feu, de l’Eau, de la Terre, du Soleil, & de la Lune.

Les Perses ne différoient point à cet égard des Scythes, don’t ils étoient apparemment descendus. « Ils ont accoutumé, dit encore Hérodote,[2] de monter sur les plus hautes montagnes, & d’y immoler des victimes à Jupiter, appellant de ce nom toute la voute des cieux. Ils offrent encore des sacrifices au soleil, à la Lune, à la Terre, au Feu, à l’Eau & aux Vents. Ce sont là les seuls dieux qu’ils servent de toute ancienneté ». Strabon rapporte la même chose,[3] & il ajoute, 1o. que les Perses appelloient le soleil Mithra, 2o. qu’ils offroient sur-tout des sacrifices à l’Eau & au Feu.

Joignons aux Scythes, & aux Perses, les Turcs, qui étoient un autre peuple de l’Orient, établis autour du mont Caucase. Théophilacte Simocatta, qui écrivait au commencement du septieme siecle, dit[4] « qu’il avoient un

  1. C’est le sentiment de Vossius de origine & progressu Idol. lib. 2. cap. 21. p. 207.
  2. Persæ moris habent editissimis quibusque conscentis montibus, Jovi hostias immolare, omnem gyrum cœli Jovem appellantes. Soli, lunæque sacrificant, & telluri, igni, aquæ atque ventis ; hisque solis sacra faciunt, jam inde ab initio. Herodot. lib. 1. cap. 131.
  3. Persæ nec flatuas nec Aras erigunt, sacrificant in loco excelso, cœlum jovem putantes. Colunt etiam solem, quem Mithram vocant, & lunam, & Venerem, & ignem, & terram, & ventos, & aquam. Præcipue igni & aquæ sacrificant. Strabo, lib. 15. p. 731.
  4. Turcæ admodum effuse ignem colunt ; aerem & aquam venetantur, telluri hymnos consinuat. Adorant autem tantummodo, & Deum nuncupant, illum qui cœlum & terram fecit. Huis equos, boves & ovis