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qu’une seule & même qualité individuelle soit transférée d’un être à un autre, ce que tous les philosophes du monde regardent comme une chose impossible. Enfin dira-t-on que la division de l’être immatériel étendu, détruit entièrement la faculté de penser ? Il s’ensuivra que cette faculté n’étoit point une qualité réelle inhérente à la substance même de l’être étendu, dans laquelle la division des parties ne doit point produire d’altération, mais un simple accident, comme la rondeur, qui périt par la séparation des parties : ce qui sera reconnu sans peine pour une absurdité ».


V. Me voici parvenu à la cinquième & dernière objection. « Supposons enfin que la faculté de penser, ou le sentiment intérieur individuel prouve l’immatérialité de l’ame, & que l’immatérialité de l’ame prouve son immortalité naturelle ; voyons à quelle conséquence nous conduisent ces suppositions. Elles élèvent toutes les créatures sensibles de cet univers à la condition & à la destination de l’homme, en les rendant capables comme lui d’une éternité de bonheur. Pour éluder cette conclusion, on est contraint d’admettre l’une de ces deux propositions :

« 1o. Ou que toutes ces créatures sensibles ne sont que de pures machines ;

« 2o. Ou que leurs ames seront anéanties à la dissolution de leurs corps.

» Ces deux systêmes sont aussi mal conçus l’un que l’autre. Quant au premier, l’expérience démontre que les bêtes perçoivent, pensent, &c. comme les hommes. Nous sommes témoins des marques non-équivoques qu’elles donnent de la douleur qu’elles ressentent, ou de la satisfaction qu’elles éprouvent. Elles agissent en cela à la manière des hommes. Elles évitent la douleur & recherchent le plaisir, par les mêmes motifs qui portent les hommes à en faire autant ; en réfléchissant sur leurs actions passées, sur celles de leurs semblables, & sur les suites des unes & des autres, elles apprennent à faire un choix entre les objets qui se présentent. Aussi nous voyons celles qui ont le plus d’expérience, agir plus conformément à leurs intérêts. Si pourtant les brutes sont de pures machines, comment prouvera-t-on que les hommes ont une ame immatérielle ? si les opérations des bêtes ne suffisent pas pour les distinguer d’une montre, je crains bien que nous ne soyons aussi des machines un peu plus parfaites.

» À l’égard de l’autre alternative qui consiste à soutenir que les ames des brutes seront anéanties à la mort de leurs corps, elle est directement contraire à la preuve de l’immortalité naturelle de nos ames, tirée de son immatérialité. Elle lui ôte toute sa force ; car alors cette immortalité naturelle ne nous garantit pas de l’anéantissement ».

M. Clarke répond que : « quoique les créatures sensibles ayent certainement quelque chose d’immatériel en elles, il ne s’ensuit pas qu’elles doivent être anéanties à la dissolution de leurs corps, ou devenir capables de recevoir un bonheur éternel comme l’homme…. C’est comme si quelqu’un prétendoit que tout ce qui n’est pas exactement comme lui, n’existe point du tout ».

La force de cette réponse pose sur ce que je parois soutenir qu’il est nécessaire ou que les ames des bêtes soient anéanties à la dissolution de leurs corps, ou qu’elles deviennent capables d’un bonheur éternel, comme les ames humaines. Quand ce seroit-là réellement ma pensée, ce raisonnement ne ressembleroit pas pour cela à celui d’un homme qui prétendroit que tout ce qui n’est pas exactement semblable lui n’existe point du tout. Car je ne dis pas que les ames des bêtes sont capables d’un bonheur éternel, ou qu’elles n’existent pas ; mais qu’elles doivent ou devenir capables d’un bonheur éternel ou être anéanties à la dissolution de leurs corps. Il s’ensuit peut-être que tout être immatériel qui n’est pas capable d’un bonheur éternel ne sauroit exister après la dissolution du corps qu’il anime ; mais il ne s’ensuit pas qu’il ne puisse point exister d’être immatériel, ou d’ame qui ne soit capable d’un bonheur éternel, comme l’homme, ou pour me servir des termes de M. Clarke, qui ne lui ressemble parfaitement à l’égard de cette qualité.

Mais mon intention n’étoit pas de soutenir que les ames des bêtes devoient absolument être anéanties à la dissolution du corps animal, ou devenir capables d’un bonheur éternel comme les ames humaines ; mais seulement qu’elles devoient être anéanties dans un temps ou dans un autre, ou participer à l’immortalité avec les ames des hommes. Car, quand je me suis objecté à moi-même que les ames des bêtes seront anéanties à la dissolution de leurs corps, je me suis imaginé que ceux qui supposeroient l’annihilation des ames des bêtes, regarderoient la mort corporelle comme le terme le plus naturel de leur existence, & je ne me suis pas trompé, comme il paroît par les réponses qui ont été faites au discours de M. Dodwell qui lui-même supposant l’ame naturellement mortelle, quoique capable de recevoir l’immortalité, conclut que la dissolution du corps est le temps le plus propre à la mort de l’ame. Je demande donc la permission d’entendre dans ce sens ce que dit M. Clarke » que quoique toutes les créatures sensibles ayent certainement en