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de l’idée, & le rappel de l’idée est l’effet des traces subsistantes avant la dissipation totale des parties où ces traces sont empreintes. M. Clarke peut concevoir à-présent comment un homme peut avoir le sentiment intérieur d’avoir fait certaines actions, quoiqu’il ne lui reste à cette heure aucune particule du cerveau qu’il avoit lorsqu’il fit ces actions, sans que pourtant on en puisse inférer que le sentiment intérieur ait été transféré d’un sujet à un autre, en aucun sens absurde.

4o. J’avois dit, comme par occasion, dans ma réplique à la première défense de M. Clarke : « Une vérité de fait, du moins elle me semble telle, c’est que la matière qui, dans l’œuf couvé, constitue l’embrion, reçoit par l’incubation certaine disposition organique qui la rend capable de sensation, sans qu’elle ait besoin d’une ame immatérielle & immortelle pour sentir ».

M. Clarke me réfute en ces termes : « Ce prétendu fait est entièrement contraire à toutes les découvertes anatomiques, & à tous les principes de la vraie philosophie. Il est faux que la matière de l’œuf devienne par aucune disposition particulière de ses parties, effet de l’incubation, un fœtus-poulet : elle ne le devient pas plus qu’on ne voit l’œuf entier se changer en poulet. La matière de l’œuf sert seulement à la nourriture, à l’accroissement de l’embrion, tant qu’il y reste enfermé. Il est aussi impossible que le corps organisé d’un poulet se forme, en vertu d’un mouvement méchanique quelconque, de la matière inorganique d’un œuf, qu’il étoit impossible que le soleil, la lune & les étoiles sortissent du cahos, par un simple méchanisme. Il est encore plus impossible que le mouvement donne à cette même matière une disposition ou texture particulière qui la rende capable de sensation. Car c’est vouloir tirer d’une chose ce qui n’y est pas, ce qui n’y a jamais été. N’est-ce pas là une contradiction des plus manifestes ? Vous regardez comme ridicule de recourir à une ame immatérielle & immortelle pour faire sentir un poulet. À la bonne heure. Je puis aisément supposer, s’il vous faut des hypothèses, que la substance immatérielle qui sent dans le poulet n’est point une addition postérieure à sa formation, qu’elle existoit dans le germe ou principe séminal dès le commencement de son organisation ; & qui nous dira quand cette organisation a commencé ? Plus l’anatomie fait de profondes découvertes par les observations microscopiques, plus ces mystères secrets de la nature paroissent hors de la portée des yeux, des instrumens & de la pénétration des observateurs les plus assidus & les plus attentifs. Supposé donc qu’on ne puisse, par aucune théorie vraisemblable, quand & comment le principe immatériel de sensation est entré dans le poulet, doit-on nier pour cela la vérité de certaines preuves qui démontrent qu’il y existe un tel principe ? La difficulté (qui certainement aussi est très-grande) d’expliquer dans aucune hypothèse comment & d’où vient le corps organisé du poulet, nous fait-elle nier l’existence des sens que nous lui connoissons ».

Je ne conviens point, avec M. Clarke, que ma supposition soit contraire à toutes les découvertes anatomiques & à tous les principes de la vraie philosophie. Si cet habile métaphysicien avoit bien voulu rapporter ces découvertes anatomiques & ces principes philosophiques, avec la vérité & la candeur dont il fait profession, il auroit vu que je ne les contredis point ; & que s’il y a quelque chose qui leur soit contraire, c’est de prétendre que l’embrion du poulet ne soit pas une partie de la matière de l’œuf. Quand l’origine des corps organisés seroit un mystère impénétrable pour nous, fort au-dessus de la portée de nos yeux, de nos instrumens, & de l’entendement humain, on n’en pourroit rien conclure contre les faits. Et malgré les connoissances anatomiques que M. Clarke peut avoir, & les découvertes microscopiques dont il veut parler, je persiste à soutenir que nos yeux voient clairement que le corps organisé du fœtus-poulet est une partie de la matière de l’œuf. Il n’y a point d’observations microscopiques qui détruisent un fait de cette nature. Les observations microscopiques peuvent nous aider à découvrir l’existence de certaines choses, & à reconnoître la beauté & la texture merveilleuse de quelques autres, que nos sens ne peuvent appercevoir par eux-mêmes ; mais elles ne peuvent pas faire que nous ne voyons rien où nous voyons quelque chose.

Je ne nie pas que le germe du poulet n’existe avant que d’être renfermé dans l’œuf : je dis seulement que lorsqu’il y est renfermé, il fait partie de la matière de l’œuf. Je suppose de plus qu’il ne devient capable de sentiment qu’après un certain développement, lorsqu’il s’est approprié une certaine portion de la matière de l’œuf, laquelle en servant à sa nourriture & à son accroissement, est ainsi devenue la substance de l’animal même. J’avoue en même tems que je ne vois d’absurdité à supposer que, par la seule vertu d’un mouvement méchanique, le corps organisé de l’animal se forme d’une telle matière inorganisée, si toutefois on peut dire que la matière de l’œuf soit inorganisée. Il est vrai qu’elle n’est ni un œil, ni une aile, ni telle autre partie du fœtus, & dans ce seul sens elle est inorganisée. Cependant elle est tellement disposée, travaillée, ou organisée, qu’elle peut, par le moyen du mouvement,