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une condition convenable à leur nature qui ne soit pourtant pas un état de bonheur éternel semblable à celui de l’homme » ? M. Clarke interprète mal ce que j’ai dit. En supposant les brutes capables d’un bonheur éternel, comme l’homme, j’ai entendu seulement un état dans lequel les brutes pourroient avoir éternellement des perceptions agréables, sans entrer dans aucun parallèle des degrés du bonheur éternel dont les différens ordres des êtres créés jouiront, chacun selon sa nature. Mais puisque M. Clarke reconnoît toutes les créatures sensibles capables d’une récompense éternelle, je prends la liberté de lui demander s’il croit les mites, les mouches, les puces, les huîtres, les rats, &c. également capables d’un châtiment éternel. S’il dit que les brutes sont seulement capables d’une récompense éternelle, il les met au-dessus de l’homme, & rend leur condition préférable à la nôtre. S’il dit qu’elles sont également capables d’une récompense & d’une peine éternelles, je lui demande pourquoi certains animaux seront éternellement récompensés dans l’autre vie, & d’autres éternellement punis. Si les brutes doivent être éternellement punis ou récompensés, ce sera pour avoir suivi ou violé certaines règles de conduite qui leur étoient prescrites. Alors il faut convenir qu’elles sont des agens moraux, qu’elles ont toutes les facultés & les conditions requises dans les hommes pour que leurs opérations soient estimées des actions morales. La moralité des actions est le seul fondement des châtimens & des récompenses. Si Dieu récompense les bêtes innocentes ou opprimées dans cette vie, s’il punit celles qui se seront livrées à l’esprit de rapine & de cruauté en dévorant leurs semblables, ou même en dévorant les habitations des hommes, il agit avec elles comme avec nous. C’est ainsi que raisonnoient les juifs qui pensoient que les brutes étoient capables de peines & de récompenses éternelles. » Quand on leur demandoit, dit M. Arnauld dans ses Réflexions sur le systême du P. Mallebranche, quelle justice il y avoit dans la mort des bêtes, quel péché elles avoient commis, & pourquoi Dieu vouloit, puisque sa providence s’étendoit à tout, qu’un rat innocent fût déchiré par un rat, ils répondoient que Dieu l’avoir ainsi ordonné, mais qu’il récompenseroit ce rat dans le siècle à venir ».

Ces conséquences & d’autres semblables qui suivent de l’argument de M. Clarke, nous représentent la condition de l’homme sous des traits si étranges, que je crois rendre un service réel à la religion en faisant voir qu’elle n’en peut tirer aucun avantage, la certitude d’un état futur étant fondée sur des preuves d’un autre genre auxquelles les incrédules ne sauroient répondre, & qui ne sont sujettes à aucune sorte d’absurdité ni de contradiction.

V. M. Clarke termine sa seconde défense par quinze propositions que je vais examiner l’une après l’autre, quoiqu’il y en ait plusieurs qui se trouvent déjà pleinement réfutées dans les réflexions qu’on vient de lire. Ma réponse en sera plus complette & plus satisfaisante.

Première proposition.

« Tout systême de matière est composé d’une quantité plus ou moins grande de parties distinctes ».

Cette proposition que M. Clarke regarde comme avouée de tout le monde, est niée, au contraire du plus grand nombre des philosophes. Du moins je le crois ainsi par de bonnes raisons. Cependant je ne veux point entrer en discussion sur ce point. Je continue à la supposer vraie, comme je l’ai supposé jusqu’ici.

Deuxième proposition.

« Toute qualité réelle est inhérente dans quelque sujet ».

Troisième proposition.

« Une qualité individuelle ou singulière d’une particule se matière, ne peut pas être la qualité individuelle ou singulière d’une autre particule de matière ».

J’accorde ces deux propositions.

Quatrième proposition.

« Toute qualité réelle simple qui réside dans un systême total de matière, réside aussi dans toutes les parties de ce systême ».

Cinquième proposition.

« Toute qualité réelle composée, qui réside dans un systême total de matière, est un nombre de qualités simples qui résident dans toutes les parties de ce systême, l’une dans une partie, l’autre dans une autre partie, &c. ».

Je ne contesterai point à M. Clarke ces deux propositions, quoiqu’il me semble confondre les qualités simples & les qualités composées ; car dans l’explication qu’il donne de la quatrième proposition, il allègue pour exemple d’une qualité simple, le mouvement d’un corps, qu’il dit être la somme des mouvemens des différentes parties de ce corps. Dans l’explication de la cinquième proposition, il donne pour exemple d’une qualité composée, la couleur verte qui est un composé de bleu & de jaune. Or le mouvement d’une montre me paroît une qualité pour le moins aussi