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RÉPONSE À LA TROISIÈME
DÉFENSE DE M. Clarke.
Neque decipitur ratio neque decipis unquam.
Manilius.

Le sujet du différend élevé entre M. Clarke & moi, est la force de l’argument dont il s’est servi dans sa lettre à M. Dodwell pour prouver l’immatérialité naturelle de l’ame. Je lui ai fait quatre objections contre cet argument. Il en a négligé trois, sans presque en faire mention. Pour répondre à la quatrième, il s’étoit proposé de faire voir que si la pensée dans un systême quelconque de matière, elle y seroit la somme des pensées des parties qui le composent ; parce qu’étant absurde, selon lui, que la pensée du systême total fût la somme de plusieurs autres pensées, il s’ensuivoit que la matière étoit incapable de penser. Mais, au lieu de prouver cette assertion, M. Clarke s’est emparé du parallèle que j’avois fait de la rondeur & du sentiment intérieur, s’attachant à faire voir que la rondeur d’un corps est la somme de plusieurs pièces ou formes qui tendent vers la rondeur. Quand cela seroit, que pourroit-il en conclure ? Que, si le sentiment intérieur est dans son sujet matériel, comme la rondeur dans le corps rond, il y est la somme, non pas de plusieurs sentimens intérieurs, mais de plusieurs tendances vers le sentiment intérieur : ce qui l’éloigne étrangement du point de la question, & fait disparoître l’absurdité dont il s’efforçoit de charger l’opinion contraire à la sienne. Quand je réfléchis à cette conduite, je ne sais pourquoi je reprends la plume pour répondre à sa troisième défense. Il me semble que je devrois me contenter d’en appeller au lecteur savant & impartial, persuadé qu’il n’a pas besoin que je lui fasse appercevoir combien M. Clarke semble abandonner la défense de son argument & donner gain de cause à ses adversaires. Cependant, comme en discutant l’objet principal de notre dispute, il y est entré quelques points incidentels qu’il est important d’éclaircir, j’ai cru que les amateurs de la vérité ne seroient pas fâchés de me voir ajouter de nouvelles considérations à mes réflexions précédentes sur la prétendue démonstration de l’immatérialité et de l’immortalité naturelles de l’ame.

I. Il y a peu de disputes de conséquence où l’on ne révoque en doute la règle qui doit les décider. Lorsque la raison est de notre côté, nous nous soumettons volontiers à ses principes & à ses lumières : nous espérons que les autres voudront bien en faire autant. Mais lorsque l e systême que nous avons embrassé se trouve sujet à des difficultés que nous ne pouvons résoudre, nous soutenons alors que la raison est foible. Son insuffisance prétendue sert de prétexte à notre obstination. Nous soutenons la vérité de notre systême indépendamment de l’impossibilité où nous sommes de répondre aux objections qui le réfutent.

M. Clarke a jugé à propos de suivre cette méthode avec moi, & je crois nécessaire d’examiner, avant tout, ce qu’il dit à ce sujet, afin d’établir un point fixe qui serve de moyen sûr pour terminer la question qui fait l’objet de notre différend. Il est en effet inutile de disputer de la vérité & de la fausseté des propositions, lorsque par des doutes & des scrupules sur la faculté qui doit juger de cette vérité & de cette fausseté, le vrai & le faux deviennent des noms vuides de sens, ou du moins signifient différentes choses dans les differens esprits.

1o. On démontre, suivant M. Clarke, que la matière est incapable de penser, parce que Dieu peut la diviser ; d’où il conclut que la faculté de penser doit résider dans un être immatériel, quoiqu’étendu. C’est-à-dire que la pensée peut & ne peut pas résider dans un être indivisible : car qu’est-ce qui prouve que Dieu peut diviser la matière, sinon l’étendue propre du sujet matériel ? Et si la matière est divisible, & conséquemment incapable de penser, à moins que M. Clarke ne dise que l’être divisible est en même tems capable & incapable de penser.

Pour éluder cette contradiction manifeste, M. Clarke a recours à une distinction au moyen de laquelle on peut tout croire, & raisonner sur rien. « Il est absurde, dit-il, de supposer que Dieu ne puisse pas diviser la matière ; mais supposer que Dieu ne peut pas diviser une substance immatérielle étendue, ce n’est point une absurdité, mais seulement une supposition sujette à des difficultés qu’on ne peut entièrement résoudre ». Pour éclaircir cette distinction singulièrement subtile, il ajoute « qu’il ne faut pas mettre au même rang les difficultés insolubles & les absurdités ou contradictions manifestes, parce que les premières ne naissent pas, comme les autres, de la perception d’une disconvenance réelle entre les idées, mais seulement du vice & de l’imperfection des idées mêmes ». J’aimerois autant dire que les difficultés qu’on ne peut pas entièrement résoudre ne naissent pas de la perception de la disconvenance des idées, mais de la perception de la disconvenance des idées. Car qu’est-ce qu’une difficulté qu’on ne peut pas éclaircir parfaitement à cause du vice des idées, sinon une difficulté insoluble qui naît de la perception de la disconvenance des idées ? Je n’y vois pas de différence, ou elle n’est que dans les mots. S’il dit qu’il y a de la