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que pourroient être ceux qui résulteroient de la comparaison d’idées complettes. Je suppose qu’au travers d’un brouillard épais, j’aperçoive quelque forme qui ressemble à un homme ; quoique je ne puisse pas assez bien distinguer cet objet pour décider si c’est une statue, ou un homme véritable, je puis néanmoins prononcer avec certitude que ce n’est pas un clocher, parce que je perçois de la disconvenance entre l’idée que j’ai d’un clocher & la figure que je vois, tout comme je connois la fausseté d’une proposition de morale ou de géométrie, en percevant la disconvenance des idées qui la composent. Puisque nous pouvons aussi bien nous assurer de la vérité ou de la fausseté des choses par la perception de la convenance ou disconvenance des idées incomplettes que par la convenance ou disconvenance des idées complettes, les difficultés qui naissent de la perception de la disconvenance de deux idées, soit complettes ou incomplettes, sont également des contradictions, & conséquemment la distinction de M. Clarke est nulle.

3o. Si les difficultés qui naissent de la perception de la disconvenance de deux idées incomplettes, n’étoient pas des absurdités & des contradictions, ainsi que les difficultés qui naissent de la perception de la disconvenance de deux idées complettes, il s’ensuivroit que nous ne pourrions pas raisonner avec quelque certitude des principaux objets de la religion, tel que dieu & ses attributs. Les idées que nous attachons à ces mots, dieu & ses attributs, sont assurément des idées incomplettes. Cependant on raisonne tous les jours sur la justice de Dieu, sur sa véracité, sa bonté, sa sainteté & sa sagesse. On dit souvent dans les discours publics que telle chose doit être parce qu’elle suit évidemment de la supposition de ces attributs, & que d’autres choses ne peuvent pas être parce qu’elles répugnent aux mêmes attributs : c’est-à-dire, que telles choses sont conformes & d’autres contraires aux idées que nous avons de la justice, de la véracité, de la sainteté, de la bonté & de la sagesse de dieu. Nous disons par exemple, qu’il est contraire à la justice de dieu de punir éternellement l’homme fidèle à sa loi, & de récompenser celui qui la viole ; nous disons qu’il est conforme à sa justice de récompenser l’homme qui pratique fidèlement sa loi & de punir celui qui la viole.

M. Clarke prouve de même « que les actions moralement bonnes ou moralement mauvaises doivent nécessairement être récompensées ou punies, parce que les mêmes raisons qui démontrent que dieu est nécessairement juste & bon, que les règles de la justice, de l’équité & de la bonté sont sa volonté inaltérable & essentiellement droite, & qu’elles doivent faire la loi de tous les êtres créés ; démontrent aussi qu’il ne peut pas s’empêcher d’approuver & d’aimer les créatures qui l’imitent, qui lui obéissent, & qui observent sa loi, qu’il désapprouve de même celles qui font le contraire & conséquemment, qu’il doit mettre de la différence dans sa conduite envers les une & les autres, & traiter chacune comme elle le mérite… Mais puisque la condition des hommes dans ce monde est telle que l’ordre naturel des choses est souvent renversé, de sorte que la vertu & la bonté, loin de prouver à l’homme la juste récompense qui lui est due, en le fixant dans un état de bonheur & de contentement proportionné à ses mérites, sont souvent une source de malheurs pour les gens vertueux… Il doit nécessairement y avoir une vie future qui rétablisse les désordres de celle-ci par une juste distribution de récompenses & de peines, & justifie ainsi le systême entier de la providence, qui dans la foible portion que nous en appercevons, nous paroît à tant d’égards obscur & incompréhensible ».

Sur quoi ce raisonnement de M. Clarke est-il fondé ? Sur une idée incomplette de la justice de dieu. D’où vient la force de cette démonstration d’une vie future, en la supposant concluante ? N’est-ce pas de la perception qu’il a de la disconvenance des désordres apparens de ce monde, avec cette idée incomplette de la justice de dieu ? C’est cette disconvenance qui prouve la nécessité d’une économie à venir pour réparer l’inégale distribution des biens & des maux qui a lieu dans le systême présent. Puis donc que M. Clarke croit pouvoir conclure avec certitude la nécessité d’une vie future, d’une idée imparfaite & incomplette, car il n’en a point d’autre dans le cas présent, il ne sauroit nier que la certitude ne puisse résulter de la comparaison de deux idées incomplettes, comme de celle de deux idées complettes. Donc, la perception de la convenance ou de la disconvenance des idées, soit parfaites ou imparfaites, complettes ou incomplettes, est le seul critere de vérité que nous ayons. Ou bien M. Clarke doit nier la validité de sa démonstration d’un état futur, ou prétendre que nous avons une idée complette des attributs de dieu.

4o. Mais supposons que l’on soit fondé à distinguer la connoissance que nous avons des êtres réellement existans, de celle qui regarde les idées de l’esprit qui n’ont point d’originaux ou d’archétypes réels de leur existence, & que ces deux espèces de connoissances ne soient pas d’une égale certitude. Cependant cette distinction devient inutile dans la question présente  ; & c’est vouloir l’embrouiller de gaieté de cœur que de l’y employer. La prétendue démonstration de l’immatérialité & de l’immortalité de l’ame, ne peut être fondée que sur la comparaison des idées incomplettes de la matière, de l’esprit & de la pensée. D’où il résulte qu’une objection ou une

difficulté