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mination de Dieu qui exécute nécessairement ce qu’il a librement déterminé ».

On ne sauroit établir d’une manière plus expresse la nécessité de tous les événemens de ce monde. Quoique le docteur South distingue le systême chrétien du systême des stoïciens, ce n’est pourtant que par rapport à la cause de la nécessité. Du reste, une nécessité fondée sur la volonté de Dieu détruit aussi réellement la faculté de la détermination propre, qu’une nécessité qui provient d’un enchaînement fatal des causes.

Supposons pour un moment que la nécessité des actions humaines détruise la religion, en détruisant la détermination propre ; je demande à M. Clarke, qui soutient la certitude de tous les événemens, quelle influence la nécessité de nos actions peut avoir sur la détermination propre ou le libre arbitre, que n’ait pas la supposition de la certitude de nos actions[1]. Si, avant l’existence d’une action quelconque, il est certain qu’elle existera avec toutes ses circonstances, est-il plus en mon pouvoir de me dispenser de cette action ou d’aucune de ses circonstances, que d’une action qui existera nécessairement ? À moins donc qu’il ne montre clairement une telle différence entre la certitude & la nécessité de nos actions, que l’une laisse subsister la détermination propre détruite par l’autre ; il doit convenir ou que ses propres principes sont destructifs de toute religion, ou que la nécessité des actions humaines n’a rien de contraire à la religion.

D’ailleurs, M. Clarke doit supposer lui-même que Dieu peut n’avoir d’autre liberté que celle de faire ce qu’il veut, lorsqu’il dit d’un ton dogmatique : « que les différentes relations éternelles & nécessaires qui distinguent les choses les unes des autres déterminent toujours & nécessairement la volonté de Dieu ; & que Dieu est absolument déterminé à faire ce qui est le meilleur en tout[2] ». Si la volonté de Dieu est toujours nécessairement & absolument déterminée, Dieu n’a point cette liberté de détermination propre dont nous venons de parler, & s’il ne l’a point, peut-il, dans les mêmes circonstances, agir autrement qu’il ne fait ? Si encore la volonté de Dieu est toujours nécessairement déterminée, quelle autre espèce de liberté lui reste-t-il, que la faculté de faire ce qu’il veut, & de ne pas faire ce qu’il ne veut pas ? La force de la vérité a arraché ces expressions à M. Clarke, & je le prie de vouloir bien les accorder, s’il le peut, avec la critique qu’il fait de l’auteur de l’Essai sur l’usage de la raison dans les propositions dont l’évidence dépend du témoignage humain, qui soutient la même opinion. Je le prie d’accorder la liberté de détermination propre qu’il attribue à l’homme, avec son principe de la détermination nécessaire de la volonté de Dieu. Car, s’il veut bien réfléchir sérieusement sur cette matière, il trouvera que comme la volonté de Dieu est nécessairement déterminée par ce qu’il y a de meilleur en tout, la volonté humaine est de même nécessairement déterminée par ce qui lui paroît le meilleur ; il verra qu’il est impossible de concevoir qu’un agent intelligent soit autrement déterminé, & que ce qui distingue les êtres intelligens, des êtres privés d’intelligence, est la faculté d’être déterminés par l’apparence du bien & du mal, & d’agir conformément à ces déterminations. Qu’est-ce que l’homme peut desirer de plus que d’avoir une volonté, un choix, une préférence, & la liberté de faire ce qu’il veut, ce qu’il choisit, ce qu’il préfère ? Desireroit-il de pouvoir choisir & vouloir la peine, lorsqu’il veut & choisit le plaisir ? Ou desireroit-il, lorsqu’il veut & choisit le plaisir, d’être capable d’agir d’une manière contraire à cette volonté & à ce choix ? Voudroit-il être une intelligence assez malheureuse pour vouloir le mal en tant que mal, & n’avoir que des actions involontaires en agissant contre sa volonté ? C’est pourtant ce qui suit de la détermination propre supposée dans l’homme, & de la liberté prétendue de vouloir contre sa volonté. Graces au ciel ! nous sommes dans une meilleure condition : nous sommes environnés d’objets que nous ne pouvons nous empêcher de préférer les uns aux autres, autant qu’ils nous semblent préférables. Et lorsque nous en préférons un, nous ne pouvons nous empêcher d’agir conformément à cette préférence : il n’y a que la force qui puisse nous empêcher de suivre notre volonté ; & certainement personne ne desire de se trouver dans le cas d’une telle violence. Il est vrai que notre liberté a des bornes. Si nous voulions aller dans la lune, ou nous élever au-dessus de l’atmosphère, nous n’aurions pas la liberté ou la faculté d’exécuter une telle volonté. Si nous avions la faculté de faire ce que nous voulons dans tous les cas possibles, nous serions surpuissans.

2o. La seconde raison qui prouve, suivant M. Clarke, que mon sentiment est incompatible avec la religion, c’est que, s’il étoit vrai, « le dogme de la résurrection seroit inconcevable & incroyable, & il n’y auroit point de justice dans la distribution des peines & des récompenses futures ».

Tout ce qu’on dit pour rendre ces conséquences légitimes, est fondé sur la question de l’identité

  1. Démonstration de l’existence & des attributs de Dieu par le Dr. S. Clarke, tome 1.
  2. Preuves de la religion tant naturelle que révélée.