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solidité n’est pas celui de la pensée. Tout ceci prouve d’une manière évidente que ni M. Clarke ni ceux qui sont dans le même principes, ne démontreront jamais que la faculté de penser doive avoir pour sujet d’inhérence un être immatériel. Quand ils démontreroient que la pensée ne peut pas résider dans la matière, parce qu’elle est solide & divisible, cela signifieroit seulement que la pensée ne sauroit être une affection de la solidité : car la matière ne nous est connue que comme quelque chose de solide, c’est-à-dire sous la notion de solide ; mais n’ayant point d’idée de la substance de la matière, ils ne sont pas autorisés à dire que la pensée ne peut pas résider dans un sujet dont ils n’ont pas d’idée. Donc en accordant que la pensée ne peut pas être une affection de la solidité, il ne s’ensuit pas qu’elle ne puisse être inhérente dans une substance dont la solidité est une propriété.

Locke, pour se justifier de considérer, ce qu’il considère toujours, la substance comme quelque chose d’inconnu qui sert de soutien à certains accidens, dit : « Un philosophe qui dit que la substance, ou ce qui sert de sujet aux accidens est quelque chose qu’il ne connoît pas, parleroient aussi exactement l’un que l’autre[1] ». Il se pourroit néanmoins qu’ils ne parlassent pas tous avec une égale exactitude : car le paysan & l’enfant peuvent avoir une idée abstraite de l’être solide ou de la matière, & imaginer l’un que l’église de Harlem ses fondations assises sur quelque matière solide, & l’autre qu’il est lui-même sur quelque espèce de corps solide ; au lieu que le philosophe n’a point du tout d’idée. En effet que le philosophe dépouille une portion quelconque de matière de sa solidité, il ne restera plus rien de concevable, rien qui puisse être le sujet d’inhérence de la solidité. L’espace dans lequel la matière existe ne peut pas être la substance où réside la solidité, parce que l’espace est quelque chose de distinct de la substance de la matière, & de purement accidentel à la matière, puisque l’espace est immuablement & constamment dans la même place, si je puis ainsi m’exprimer, quelque espèce de matière qui remplisse cet espace, ou qui en soit ôtée.

Mais, autant que j’en puis juger, il me semble que ce raisonnement sur les essences des choses prétenduement inconnues, est une méprise parfaite ; & il est clair, selon moi, que l’essence ou la substance d’un être immatériel, doit être inétendue, & qu’on peut la définir une inétendue. Rien ne peut exister avec les parties de l’espace, pour ainsi dire, que ce qui est solide : & faire un être immatériel étendu, comme fait M. Clarke, c’est faire un être immatériel matériel : ce qui du reste n’est pas plus étrange que de faire un être étendu indivisible, quoiqu’il n’ait pas d’autre raison que l’étendue de la matière pour la croire divisible.

Ce que dit M. Clarke en réfutation de ma proposition qui attribue la cause de la gravitation à l’impulsion de la matière, est fondé sur ce « qu’un boulet, une plume & une pièce d’or ont la même pesanteur dans le vuide ». D’où il conclut que l’impulsion de la matière ne peut pas être la cause de la gravitation. Il est bon d’observer avant tout, que l’on entend par le vuide le récipient de la machine pneumatique lorsqu’on en a pompé l’air, suivant la définition que Boyle lui-même a donnée du vuide, en pareil cas, entendant par là non pas un espace sans corps, mais un espace presqu’entièrement vuide d’air[2]. Je prends donc le terme de vuide dans le même sens : car sans admettre un plein parfait, on peut nier que ce vuide soit entièrement dépourvu de matière ; il y a même des expériences qui prouvent qu’il reste toujours quelque matière dans le récipient après qu’on en a pompé l’air, & que cette matière peut être actuellement modifiée par le mouvement des corps qui sont au-dehors du récipient. Ainsi un boulet, une plume & une pièce d’or peuvent descendre avec une égale vîtesse dans ce vuide en vertu de l’impulsion des parties de la matière qui les environne, comme la même quantité de plomb sous trois formes différentes monte ou descend suivant la différente pression de l’air ambiant. Quand au mouvement extérieur qui est la cause de l’espèce de mouvement appellé gravitation, je pense que l’expérience de plusieurs fils attachés à la partie intérieure d’un cerceau, tendant vers un centre, sur un globe qui tourne sur son axe au milieu du cerceau, & l’expérience des corps qui nie descendent pas dans le vuide, ainsi que l’appelle M. Clarke, avec une égale vîtesse à une plus grande distance, qu’ils sont près de la terre, prouvent évidemment que le mouvement de la terre est une cause prochaine de la pesanteur dans tout le systême matériel. Quoi qu’il en soit, à moins que M. Clarke ne prouve qu’il y a un vuide réel dans la nature, c’est-à-dire un espace sans corps ; à moins qu’il

  1. Letter to the Bp. of W. p. 16.
  2. Nouvelles expériences touchant l’air. in-4°, p. 10, en anglois.