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être éternel[1] ». Mais comme il croyoit que cette discussion l’auroit trop éloigné des idées ordinaires, & des principes philosophiques communément reçus, & que sans doute il n’étoit pas prudent de s’écarter à un certain point des notions vulgaires ; les bornes que je me suis prescrites dans cette réponse à M. Clarke, & la multitude des préjugés qu’il faudroit combattre & détruire pour donner une idée de la création ex nihilo, me dispensent assez, moi qui suis si inférieur à Locke, d’entrer dans cette importante considération. Je la livre à la sagacité des savans ecclésiastiques payés pour remplir chaque année la fondation de M. Boyle.

Je devrais peut-être avant que de finir, relever quelques termes de mépris dont M. Clarke a jugé à propos d’user envers moi, dans sa troisième défense, croyant sans doute que ses raisons avoient besoin d’un pareil renfort. Mais un pareil langage ne mérite point de réponse. Je suis bien aise de dire à M. Clarke que je pardonne de bon cœur à quiconque me dit des injures, & que je me crois obligé à ce pardon comme chrétien & comme philosophe. D’ailleurs, je suis persuadé que M. Clarke s’est efforcé de mettre de la politesse dans ses paroles, & qu’il a été aussi honnête qu’il pouvoit l’être. Je suppose donc les lecteurs assez philosophes pour ne point accorder à des termes injurieux une autorité qui n’appartient qu’aux raisons, & pour croire que l’honnête est la première & la meilleure réponse. Cependant nos ecclésiastiques sont si singuliers, qu’un d’eux a dit & imprimé, il n’y a pas long-tems, que le bon caractère & la bonne humeur rendent les hommes athées & sceptiques[2].

Une chose qui m’a extrêmement surpris dans M. Clarke, & dont je ne le croyois pas capable, c’est d’avoir lu dans sa défense qu’il me soupçonnoit de croire trop peu. Chacun peut faire des jugemens de cette espèce, & former des soupçons qui ne font guère honneur à leurs auteurs, & qui sont ordinairement fort mal reçus de tout lecteur judicieux & honnête. Je ne me crois pas obligé de me laver d’un soupçon avancé sans preuve ; & je n’y répondrai qu’en rendant témoignage à l’orthodoxie de M. Clarke. Je prends donc congé de lui en assurant le public qu’il ne croit ni trop ni trop peu, qu’il est parfaitement & exactement orthodoxe, & qu’il le sera toujours.


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Ce qu’on vient de lire suffit pour donner une idée exacte de la philosophie de Collins, & de sa manière de raisonner sur les matières purement spéculatives, mais très-dignes d’être méditées avec soin par tous ceux qui savent combien les progrès que l’on fait dans les sciences & dans la vertu dépendent de la manière dont on débute ans la recherche de la vérité, & dans la carrière aussi épineuse de la vie. En effet, les erreurs sont comme les vices,[3] elles ne vont jamais seules : un premier sophisme en entraîne bientôt un second ; celui-ci un troisième, & ainsi de suite. Une fois sorti de la bonne route dans ses actions, comme dans ses raisonnemens, on ne peut plus savoir où l’on s’arrêtera. Une fausse vue, un faux principe de morale, en philosophie rationnelle conduit nécessairement à une conséquence vicieuse ; & le résultat total se trouve faux.

De tous les ouvrages de Collins, j’ai choisi ceux qui pensés avec force, avec profondeur, m’ont paru mériter l’attention des lecteurs philosophes. Il en a fait plusieurs autres qui, sans avoir la même importance, puisque la plupart roulent sur des matières thélogiques, sont remplis de réflexions très-judicieuses & qui peuvent éclairer peu-à-peu ceux dont la vue foible & encore peu exercée, ne pourroit pas souffrir d’abord une lumière plus vive. Parmi ces derniers ouvrages, on estime particulièrement son essai sur l’usage de la raison dans les propositions dont l’évidence dépend du témoignage humain, & son discours sur les fondemens & les raisons de la religion chrétienne. Le but que je me suis spécialement proposé dans cet article, me dispense de tout détail ultérieur sur ces différens traités. Il suffit d’observer en général que Collins n’appercevoit dans l’ancien & le nouveau testament aucun des caractères de divinité que les chrétiens de toutes les sectes s’obstinent à y reconnoître ; & que, malgré les efforts réunis de tous les théologiens, ses objections à cet égard attendent encore une bonne solution.

Ceux qui ont lu son discours sur la liberté de penser, s’étonneront, peut-être, de ne trouver ici aucune notice de cet ouvrage qui a fait beaucoup de bruit en Angleterre, & qui est même plus connu en France qu’aucun de ceux qui sont sortis de la plume de cet illustre philosophe. Pour expliquer, ou, si l’on veut, pour réparer cette omission préméditée, j’en exposerai ici les motifs. Collins publia ce discours en 1713, & la même année, il en parut dans notre langue une traduction. Soit

  1. Essai philosophique concernant l’entendement humain, liv. IV, chap. X, § 18.
  2. Edward’s preface to the doctrine of Faith, &c. page 19.
  3. La Fontaine dit que les vices sont frères :

    Dès que l’un de ceux-ci s’empare de nos cœurs,
    Tous viennent à la file, il ne s’en manque guères.
    J’entends de ceux qui n’étant pas contraires
         Peuvent loger sous le même toit.