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offroient, suivant l’usage des Celtes, des victimes humaines. Ces peuples avoient surtout une grande fête, qu’ils célébroient au commencement du printems, & pendant laquelle on avoit accoutumé de précipiter dans le tibre trente hommes sexagénaires. Les auteurs latins assurent qu’Hercule abolit ce barbare usage, mais que pour ne pas effaroucher les esprits, qui demeuroient attachés aux anciennes superstitions, on jugea à propos de conserver au-moins une image de ce sacrifice,[1] & de jetter, tous les ans, dans le tibre, trente hommes de paille. Servius, dans son commentaire sur Virgile, remarque[2] remarque que les Hétrusces appelloient le Dis des romains Mantus, Man, dans l’ancienne langue des peuples de l’Italie, signifioit, comme en allemand,[3] bon, vaillant. Ainsi, Mantus est encore le bon Tus. Il n’est pas sans apparence que c’est là la véritable origine du nom de Tusces, que les habitans du pays de Florence portoient dans les tems les plus reculés.

Au reste il ne faut pas confondre, comme plusieurs l’ont fait, le Dis des aborigines, ou le Tus des hétrusces, avec l’Adès des grecs modernes, qui est le même que Pluton. Pluton étoit le dieu de la mort & de l’enfer. Dis étoit le dieu suprême, celui qui avoit formé l’homme. C’est pour cela qu’on l’appelloit Dis Pater, ou Ditis Pater, le pere Dis, parce qu’on le regardoit comme le créateur & le pere du genre humain. Le Pluton, qui passoit pour avoir été frere de Jupiter & de Neptune, n’étoit assurément point connu par les premiers habitans de l’Italie. Les Hercules, c’est-à-dire, les princes grecs, qui avoient conduit des colonies dans ce pays, au lieu d’abolir son culte, tâchèrent, au contraire, de l’établir ; mais ils combattirent, & ils détruisirent, autant qu’il étoit en leur pouvoir, la religion des Titans, c’est-à-dire, des adorateurs du dieu Tis.

Il semble que Cicéron lui même ait senti que le Dis des anciens romains ne pouvoit être le dieu du Tartare. Il croît[4] que le pere Dis est la vertu de la terre, d’où tout sort, & où tout rentre. Les Celtes en avoient à peu près la même idée. Ils regardoient Dis comme l’ame de la terre, & du monde entier.

Je ne suis cependant pas surpris que plusieurs auteurs célèbres dans l’antiquité, sans faire attention à des différences si notables, ayent confondu le Dis des anciens Celtes, avec l’Adès des grecs modernes. Deux choses ont pu facilement leur en imposer. Premièrement la ressemblance du nom d’Adès avec celui de Dis. En second lieu la conformité du culte que l’on rendoit à ces deux divinités. Les Celtes offroient des victimes humaines à leurs dieux. Ils croyoient les appaiser, & se racheter eux mêmes de la mort en enterrant des hommes tout vivans ou en les noyant. Leurs assemblées religieuses les plus solemnelles se tenoient de nuit. Les grecs aussi offroient à Pluton des victimes humaines. Ils précipitoient, ils noyoient des hommes, pour appaiser le dieu de la mort & de l’enfer. Les sacrifices destinés aux divinités infernales s’offroient ordinairement de nuit. Il n’en falloit pas davantage pour faire croire que le Dis des aborigines étoit le Pluton des grecs modernes.

Ce fut sur de semblables apparences, que Jules César jugea, que le Teutates des gaulois étoit aussi le même que Pluton ; & c’est sur un fondement bien plus léger encore, que Plutarque, l’un des hommes les plus savans & les plus judicieux de son siecle, a soupçonné[5] que les juifs adoroient le dieu Bacchus, parce que les réjouissances, qu’ils faisoient pendant la fête des tabernacles ressembloient aux bacchanales des grecs.

Puisqueles anciens habitans de l’Italie adoroient le dieu Dis, ou Teut, il n’est pas surprenant qu’il y eut dans ce pays, comme dans tout le reste de l’Europe,[6] des Teutous, & que l’on ait même placé[7] dans le voisinage du mont Vesuve le champ de bataille les Titans furent défaits par les dieux. Les grecs qui avoient passé dans le

  1. Voyez la note précédente.
  2. Alii dicunt Mantuam ideo nominatam, quod Etrusca lingua Mantum, Ditem Patrem appellant, cui etiam Tarchon cum ceteris Urbibus, hanc consecravit. Servius ad Æneid. I, 10. vs. 199. p. 606.
  3. Mannos in carminibus saliaribus, Ælius stilo significare ait bonos. Pomp. Festus, Pauli Diaconi p. 312. Bonum antiqui Manem dicebant. Varro de Ling. Lat. lib. 5. p. 44, Edit. Popmœ.
  4. Terrena autem vis omnis, atque natura, Diti Patri dedicata est ; qui Dives, ut apud Græcos Pluton, quia & recitant omnia in terras, & orientur e terris. Cicero de Nat. Deor. lib. 2 cap. 66.
  5. Plutarch. Sympos. lib. 4. Quœst. 5.
  6. Alii dicunt incolas ejus oppidi (Pisarum) Teutas fuisse, & ipsum oppidum Teutam nominatum. Servius ad Æneid. 10. vs. 179. p. 604.
  7. Typhœus in Campania pugnasse dicitur, ut Inarime Jovis imperiis imposta Thyphœe &c. Serv. ad Æneid. 3. vs. 578. p. 312. Circa Japygiam promontorium, ubi inter Herculem, & Gigantes depugnatum fabulæ testantur. Aristotél. de Mirab. Auscult. p. 707