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qui étoient consacrées à Mercure, le dieu tutelaire des voyageurs, auquel on attribuoit l’inspection des grands chemins. Ils avoient encore la coûtume de[1] poser dans les chemins des pierres quarrées, qui étoient sous la pression du même Mercure, & ou l’on marquoit, tant la distance des lieux, que le nom des Villes ou le chemin conduisoit. On voyoit encore de ces pierres quarrées, que les grecs appelloient[2] Hermas, à l’entrée des temples, & même des maisons particulières.

Peut-être, que la plûpart de ces coûtumes venoient originairement des pélasges qui étoient un peuple scythe, ou Celte, comme je l’ai prouvé ailleurs.

On convient que ces anciens habitans de la Grece offroient leur sacrifices sur des montagnes et sur des collines, &[3] qu’au lieu d’avoir des idoles, ou des statues, ils consacroient à la divinité des pierres brutes. Le nom même de Hermes, que les grecs donnoient à Mercure, descend peut être de la langue des Celtes, dans la quelle Heer désignoit une armée, Heerstraat, un grand chemin, Heer-Mann, un homme de guerre, Heerberg, une auberge, Heerban, une convocation de l’armée. Selon cette étymologie, le mot de Hermès seroit composé de celui de Heer, armée, & de Messen mesurer, & ne désigneroit que les pierres qui servoient à mesurer les grands chemins, & par conséquent la marche des armées. Quoi qu’il en soit de cette conjecture, que je ne prétens pas garantir, le détail où je viens d’entrer montre au moins clairement comment il a pu arriver que tant d’auteurs célèbres ayent assuré que le Teut des Celtes étoit le même dieu que Mercure. Les romains & les grecs, qui avoient vû dans leurs pays une infinité d’amas de pierre consacrées à Mercure, & qui en trouvèrent de semblables dans toute la Celtique, en conclure sans hésiter, que Mercure étoit servi par tous les peuples Celtes. Je ne doute pas que les gaulois n’avouassent encore eux mêmes, que leur Teut étoit le guide & le patron des voyageurs. Leurs sanctuaires, qui avoient le droit d’asile, étoient hors des Villes & des villages, le long des grands chemins. Il y avoit une pleine sureté dans les chemins, non seulement pour les gens du pays qui alloient à un sanctuaire, ou qui en revenoient, mais encore pour les voyageurs étrangers, que l’on avoit soin de conduire, & d’escorter d’un canton & d’un territoire à l’autre, afin qu’ils ne fussent point insultés sur la route. C’est-là, autant que je puis en juger, la première, & la principale raison pour laquelle on a confondu si généralement le Teut des Celtes avec le Mercure des grecs & des romains.

À ces raisons il faut en ajouter une autre, qu’il suffira d’indiquer ici. Entre les différens Mercures, dont la mythologie payenne fait mention, il y en avoit un qu’on appelloit le céleste, & qu’on regardoit comme l’ame du monde. Nous verrons tout à l’heure, que c’était là précisément l’idée que les Celtes avoient de leur Teut.

Il s’est trouvé cependant quelques anciens qui ont cru que le Teut des Celtes n’étoit pas Mercure, mais Saturne. Denis d’Halicarnasse, par exemple, rapporte[4] « que les Pélasges, ayant été chassés de leur pays, c’est-à-dire, de la Grèce, & ne sachant ou aller, consultèrent l’oracle de Dodone, & reçurent pour réponse, qu’ils devoient passer en Italie, s’établir dans le pays des Aborigines, envoyer à Apollon les dîmes de leurs fruits, & offrir, en même-tems, des têtes à Pluton, & des hommes à son père ».

On voit bien quel étoit le but de cet oracle. Il ordonne aux Grecs qui passeront en Italie, d’un côté, de ne pas négliger le culte d’Apollon,

  1. Hermaios Lapis maximus. Herma quadratus Lapis. Suidas. Mercurius fingebatur forma capitis humani, imposita lapidi quadrato, cui inscriptum foret, qua nia duceret.Ponebantur autem ejus modi hermæ in biviis, triviis… qui caput mercuriale imponebantur cubo, Mercurius quadratus dicebantur. Ab cadem causa est, quod Mercurium vocarint lapidum congeriem. Namque viator quisque in acervum mittebat lapidem, ut sic cresceret, ac facilius viam monstratet, eaque lapidum congeries Mercurio erat sacra. Vossius de Orig. & Prog. Idol. lib. 2. cap. 32. p. 239. Voyez aussi Selden. de Diis Syris. Synt. 2. cap. 15. La Martiniere, diction. Géog. au mot Mercure.
  2. Accidit ut una nocte, omnes Hermæ qui in oppido Athenis erant, dejiceretur, præter unum qui arte januam Andocidis erat. Cornel. Nep. Alcib. cap. 3.

    Mercurii flatuæ quæ in viis & competis Athenis posiræ sunt plurimæ, pleræque una nocte facies & ora mutilatæ repertæ sunt. Plutarch. Alcibiad. cap. 30.

  3. Τιμὰς θιῶνάντὶ αγαλματων έιχον άργοι λιθις Pausan. 7. p. 579. [livre 7, 22, 4]
  4. Ite quærentes Sicularum Saturniam terram,

    Et Aboriginem Cotylen, ubi insula vehitur aquis.

    Quibus permixti decimas mittite Phœbo,

    Et capita Plutoni, & Patri (ipsius) mittite verum.

    Dionys. Halic. lib. 1. p. 16. Macrob Saturn. lib. 1. c. 7. p. 153.