Page:Encyclopédie méthodique - Physique, T1.djvu/363

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ou dans l’état des deux corps, ou dans l’état d’un des deux. Mais nous ignorons, & apparemment nous ignorerons toujours par quelle vertu ce changement s’exécute, & pourquoi, par exemple, un corps qui en choque un autre, ne reſte pas toujours en repos après le choc, ſans communiquer une partie de son mouvement au corps choqué. Nous croyons que l’attraction répugne à l’idée que nous avons de la matière ; mais approfondiſſons cette idée, nous ſerons effrayés de voir combien peu elle eſt diſtincte, & combien nous devons être réſervés dans les conſéquences que nous en tirons. L’univers eſt caché pour nous derrière une eſpèce de voile, à travers lequel nous entrevoyons confuſément quelques points. Si ce voile ſe déchiroit tout-à-coup, peut-être ſerions-nous bien ſurpris de ce qui ſe paſſe derrière ; d’ailleurs, la prétendue incompatibilité de l’attraction avec la matière n’a plus lieu, dès qu’on admet un être intelligent & ordonnateur de tout, à qui il a été auſſi libre de vouloir que les corps agiſſent les uns ſur les autres à diſtance que dans le contact.

Mais autant que nous devons être portés à croire l’exiſtence de la force de l’attraction dans les corps céleſtes, autant, ce me ſemble, nous devons être réſervés à aller plus avant. 1o. Nous ne dirons point que l’attraction eſt une propriété eſſentielle de la matière, c’eſt beaucoup de la regarder comme une propriété primordiale, & il y a une grande différence entre une propriété primordiale & une propriété eſſentielle. L’impénétrabilité, la diviſibilité, la mobilité, ſont du dernier genre ; la vertu impulſive eſt du ſecond. Dès que nous concevons un corps, nous le concevons néceſſairement diviſible, étendu, impénétrable ; mais nous ne concevons pas néceſſairement qu’il mette en mouvement un autre corps. 2o. Si l’on croit que l’attraction ſoit une propriété inhérente à la matière, on pourroit en conclure que la loi du quarré s’obſerve dans toutes ſes parties, peut-être néanmoins ſeroit-il plus ſage de n’admettre l’attraction qu’entre les parties des planètes, ſans prendre notre parti ſur la nature ni ſur la cauſe de cette force, juſqu’à ce que de nouveaux phénomènes nous éclairent ſur ce ſujet : mais du moins faut-il bien ſe garder d’aſſurer, que quelques parties de la matière s’attirent ſuivant d’autres loix que celles du quarré. Cette propoſition ne paroît point ſuffiſamment démontrée. Les faits ſont l’unique bouſſole qui doit nous guider ici, & je ne crois pas que nous en ayons encore une auſſi grand nombre pour nous élever à une aſſertion ſi hardie, on peut en juger par les différens théorèmes que nous venons de rapporter, d’après M. Keil & d’autres philoſophes. Le ſyſtême du monde eſt en droit de nous faire ſoupçonner que les mouvemens des corps n’ont peut-être pas l’impulſion ſeule pour cauſe, que ce ſoupçon nous rende ſage, & ne nous preſſons pas de conclure que l’attraction ſoit un principe univerſel, juſqu’à ce que nous y ſoyons forcés par ces phénomènes. Nous aimons, il eſt vrai, à généraliſer nos découvertes. L’analogie nous plaît, parce qu’elle flatte notre vanité et ſoulage notre pareſſe ; mais la nature n’eſt pas obligée de ſe conforrmer à nos idées. Nous voyons ſi peu avant dans ſes ouvrages, & nous les voyons par de ſi petites parties, que les principaux reſſorts nous en échappent. Tâchons de bien appercevoir ce qui eſt autour de nous ; & ſi nous voulons nous élever plus haut, que ce ſoit avec beaucoup de circonſpection, autrement nous n’en verrions que plus mal, en croyant voir plus loin : les objets éloignés ſeroient toujours confus, & ceux qui étoient à nos pieds, nous échapperoient.

Après ces réflexions, je crois qu’on pourroit ſe diſpenser de prendre aucun parti ſur la diſpute qui a partagé deux académiciens célèbres ; ſavoir, ſi la loi d’attraction doit néceſſairement être comme une puiſſance de la diſtance, ou ſi elle peut être en général comme une fonction de cette même diſtance. Queſtion purement métaphyſique, & ſur laquelle il eſt peut-être bien hardi de prononcer, après ce que nous venons de dire ; auſſi n’avons-nous pas cette prétention, ſur-tout dans un ouvrage de la nature de celui-ci. Nous croyons cependant que ſi l’on regarde l’attraction comme une propriété de la matière, ou une loi primitive de la nature, il eſt aſſez naturel de ne faire dépendre cette attraction que de la ſeule diſtance ; & en ce cas, ſa loi ne pourra être repréſentée que par une puiſſance ; car toute autre fonction contiendroit un paramètre, ou quantité conſtante qui ne dépendroit point de la diſtance, & qui paroîtroit ſe trouver là ſans aucune raiſon ſuffiſante. Il eſt du moins certain qu’une loi exprimée par une telle fonction, ſeroit moins ſimple qu’une loi exprimée par une ſeule puiſſance.

Nous ne voyons pas d’ailleurs quel avantage il y auroit à exprimer l’attraction par une fonction. On prétend qu’on pourroit expliquer par-là, comment l’attraction à de grandes diſtances eſt à raiſon inverſe du carré & ſuit une autre loi à de petites diſtances ; mais il n’eſt pas encore bien certain que cette loi d’attraction à de petites diſtances, ſoit auſſi générale qu’on veut le ſuppoſer. D’ailleurs, ſi l’on veut faire de cette fonction une loi générale, qui devienne fort différente du quarré à de très-petites diſtances, & qui puiſſe ſervir à rendre raiſon des attractions qu’on obſerve, ou qu’on ſuppoſe dans les corps terrestres, il nous paroît difficile d’expliquer dans cette hypothèſe, comment la peſanteur des corps, qui ſont immédiatement contigus à la terre, eſt à la peſanteur de la lune à-peu-près en raiſon inverſe du quarré de la diſtance. Ajoutons qu’on devroit être fort circonſpect à changer la loi du quarré des diſtances, quand mêrne, ce qui n’eſt pas encore arrivé, on trouveroit quelque phénomène céleſte pour l’explication duquel cette loi du