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noſtiquoient la fureur des guerres qui ſuivirent. » Cependant, dit la Mothe le Vayer, dans ſa ſoixante dix-huitième lettre, qui a pour titre, de la crédulité, « j’étois auſſi bien que lui dans la même ville ; & je proteſte, pour avoir contemplé aſſidûment juſque ſur les onze heures de nuit, le phénomène dont il s’agit, que je ne vis rien de tel qu’il le rapporte, mais ſeulement une impreſſion céleſte aſſez ordinaire, en forme de pavillons, qui paroiſſoient & s’enflammoient de fois à autres, ſelon qu’il arrive ſouvent en de tels météores. Infinies personnes qui ſont vivantes, peuvent témoigner ce que je dis. » Il y a même dans les ſiècles d’ignorance, des hommes tels que le Vayer, qui devancent les âges à venir, & il y en a ſouvent auſſi d’autres tels, que Baptiſte le Grain, qui appartiennent de droit aux ſiècles les plus reculés, & dont l’imagination exaltée voit des feux horribles dans le ciel, des combats dans l’air, des flammes innombrables qui s’élèvent vers la région éthérée, des chars enflammés, des boucliers ardens, des lances, des javelots enflammés, des hommes à cheval, & des ſignes nombreux de funeſtes révolutions & de calamités publiques, &c. &c.

Quelquefois, dit M. Clairaut (figure de la terre déterminée, &c. page. 60), ces ſortes de lumières tapiſſent d’écarlate certains endroits du ciel. Le 18 décembre on voyoit vers le midi, une grande région du ciel, teinte d’un rouge ſi vif, qu’il ſembloit que toute la conſtellation d’orion fût trempée dans le sang… Je n’ai vu que deux de ces lumières rouges qui ſont rares dans ce pays, où il y en a de tant de couleurs, & on les y craint comme le ſigne de quelque grand malheur. Enfin, lorſqu’on voit ces phénomènes, on ne peut s’étonner que ceux qui les regardent avec d’autres yeux que les philoſophes, y voient des chars enflammés, des armées combattantes & mille autres prodiges. L’assemblage des pelotons blanchâtres qui rendent quelquefois le ciel tout pommelé, pendant les grandes aurores boréales où ils paroiſſent avoir un mouvement de trépidation, pourroit aſſez bien réveiller, dit M. de Moiran, l’idée d’un troupeau de chèvre.

Ajoutons ici, ce que dit Fontenelle : (hiſtoire de l’académie, 1716) ces combats que quelques hiſtoriens rapportent qui ont été vus en l’air, ces ſoldats, ces charriots, ces lances de feu, pourroient bien n’être que ces ſortes de phénomènes (les aurores boréales) racontés ſur la foi du peuple ou embellis par les hiſtoriens ; ajoutons cela, & nous n’aurons pas de peine à croire que les phénomènes des aurores boréales, qui ſont ſi brillans & ſi variés, ſur-tout dans certaines contrées, aient fourni à l’eſprit humain, dans des ſiècles d’ignorance, l’occaſion de tant de préjugés & de ſuperſtitions.

De l’ancienneté de l’aurore boréale. Il eſt bien vraiſemblable que l’aurore boréale a paru, comme les autres météores, dès l’origine du monde, mais un concours de circonſtances différentes ont empêché que le ſouvenir n’en ait été transmis juſqu’à nous. Il nous en reſte cependant quelques veſtiges relatifs aux temps qui ont ſuivi les premiers âges ; car, les phénomènes que les anciens philoſophes ont déſignés ſous le nom de gouffre, de lances, de chevelures ou barbes, de tonnes de feu, de chèvres, de flambeaux, de torches, de lampes, de poutre, de ſoleils nocturnes, de lueur & d’embrâſement du ciel, ſont de véritables aurores boréales, plus ou moins complettes. « Si du temps des Grecs, dit M. le Monnier, dans ſes loix du magnétiſme, page 118, l’aſſemblée de leurs dieux ſe tenoit ſur quelques montagnes, & ſur-tout ſur l’Olympe, parce que vraiſemblablement les marchands qui venoient de la Thrace, y avoient apperçu pluſieurs fois l’aurore boréale ; on ne peut douter que le fluide n’ait été, en ce cas, auſſi abondant en ces ſiècles-là, qu’il paroît l’être en ces ſiècles-ci, &c. »

Un des auteurs les plus anciens qui ait parlé de l’aurore boréale, d’une manière à la faire connoître, eſt Ariſtote, long-temps connu ſous le nom de prince des philoſophes. Tantôt il compare ce phénomène à une flamme mêlée de fumée, tantôt à la lumière d’une lampe qui s’éteint, & quelquefois à l’embrâſement d’une campagne dont on brûle le chaume, phénomènes, dit-il, qui ne paroiſſent que pendant la nuit & dans un temps ſerein. Liv. I. des météores, chapitres IV & V. Ciceron, dans ſa troiſième catilinaire, dit qu’on a vu des torches ardentes vers l’occident & le ciel tout en feu. Pline, ainſi qu’on l’a vu il n’y a qu’un inſtant, parle d’incendie qui ſemble tomber en pluie de ſang sur la terre ; que pendant le conſulat de C. Cecilius & C. N. Papirius, c’eſt-à-dire, vers l’an de Rome 641, on avoit vu le ciel tout en feu ; ce qui eſt arrivé pluſieurs fois.

Sénèque, vers la fin du premier livre de ſes queſtions naturelles, page 839, place au nombre des feux céleſtes, le ciel en feu dont les hiſtoriens font ſi ſouvent mention, inter hœc ponas licet & quod frequenter in hiſtoriis legimus, cœlum ardere viſum, &c. Julius Obsequens, qui compoſa, vers l’an 395 de Jéſus-Chriſt, un livre des prodiges, ſur-tout d’après Tite-Live, parle ſouvent du ciel en feu, des nuits claires comme le jour, des torches ardentes qui s’étendent de l’orient juſqu’à l’occident : de prodigiis, cap. XIII, &c. Conrard Lycoſthène a fait à cet ouvrage des additions, pour ſuppléer à ce qui manque dans l’original. Depuis cette époque juſqu’à nos jours, on trouve dans différens écrivains, des preuves certaines de l’apparition de l’aurore boréale, dans cette ſuite de ſiècles. Sur la fin du quatrième ſiècle, par exemple, & au commencement du cinquième, on aperçut une colonne ſuſpendue dans le ciel, & qui ſe montre pendant trente jours ; un feu que l’on voit brûler au-deſſus d’un nuage terrible par ſa ſplendeur, & quelquefois dans tout le ciel, &c., Lycoſth. prodigiorum ac oſtentorum chronicon, 1557.

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