Page:Encyclopédie méthodique - Physique, T1.djvu/431

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où ſe tenoit preſque toujours M. Kempelen ; d’ailleurs, ſouvent l’automate jouoit pluſieurs coups, ſans que le mécanicien, ni ſon ſecond, changeaſſent de place.

Quelqu’étonnante que paroiſſe la faculté de répondre à diverſes queſtions que ſembloit avoir l’automate, je le regarde comme le même phénomène efſentiellement que celui du jeu d’échec ; il n’y a pas plus de difficultés à faire mouvoir le doigt de l’automate pour indiquer des lettres qui ſont dans les diviſions d’un tableau qui reſſembloit à un échiquier, qu’il n’y en a pour placer ſur les caſes de l’échiquier une pièce du jeu ; au contraire, les difficultés ſont plus nombreuſes dans ce dernier cas, parce qu’il falloit que l’automate prît la pièce, & la portât ſur une autre caſe.

L’adreſſe avec laquelle l’automate faiſoit parcourir au cavalier toutes les caſes de l’échiquier, ne ſuppoſe que de l’habileté dans le mécanicien, qui s’étoit fait une méthode générale de cette eſpèce de jeu. Mais dans tous ces cas, l’automate ne jouoit pas réellement, le mécanicien ſeul influoit à chaque coup ; auſſi le voyoit-on toujours très-attentif lorſqu’il jouoit aux échecs contre un adverſaire, à prévoir, par les mouvemens extérieurs, ce que celui-ci ſeroit, & à conſulter ſon ſecond, dans les coups difficiles. Tout l’art de M. Kempelen, nous le répétons, conſiſte à cacher adroitement l’influence actuelle qu’il avoit à chaque inſtant ſur la machine qui, ſous ce rapport, n’étoit point un automate proprement dit.

Il ne me paroit point sûr que le grand nombre de rouages contenus dans le corps de l’automate & dans celui du bureau, qu’on montroit au public en ouvrant de petites portes, fût néceſſaire ; ils n’étoient mis là que pour faire illuſion, & c’étoit encore par cette raiſon qu’on démontoit pluſieurs fois, pendant une ſéance, les reſſorts qui faiſoient mouvoir les rouages & le grand cylindre renfermé dans la table ou bureau.

Je penſerois plus volontiers que, quoique le bureau auquel tenoit la chaiſe ſur laquelle étoit aſſis l’automate fût mobile, on la replaçoit toujours deſſus un repaire ou marque qu’on avoit faite ; qu’à cet endroit le plafond étoit percé, & qu’on en ôtoit le petit carré qui le bouchoit, lorſque le bureau étoit remis en place ; que le pied correſpondant du bureau étoit percé, comme il l’eſt dans les tables avec leſquelles on fait pluſieurs jeux mécanico-magnétiques ; qu’une perſonne cachée derrière la cloiſon, & voyant par un trou dans la ſalle, pouſſe à propos l’extrémité d’un pantographe, dont l’autre bout répond au bras de l’automate ; & que, pour faciliter les opérations, la perſonne cachée a un ſemblable jeu d’échec qui répond à une extrémité du pantographe ou d’un ſimple lévier du premier genre à bras inégaux. Dans cette hypothèſe, certainement poſſible, les deux perſonnes qui étoient autour de l’automate n’avoient aucune influence ſur lui, mais ſeulement une troiſième perſonne qui étoit cachée.

Cette explication générale me paroît être la ſeule qu’il y ait à donner, & toute autre expoſition générale qui lui ſeroit oppoſée ne pourroit être admiſe, car il eſt démontré à tout phyſicien & mathématicien, ou plutôt à toute perſonne qui raiſonne, que l’automate ne pouvoit avoir en lui-même le principe de ſes mouvemens.

Les moyens particuliers peuvent être différens ; pluſieurs ſont propres à conduire au même but ; dans le bras & la main, peut-être y avoit-il une mécanique ſemblable à celle des poignets artificiels qu’on a fait quelquefois pour des perſonnes qui avoient perdu la main ; peut-être auſſi les mouvemens de la main de l’automate étoient-ils produits par des cordons paſſans dans l’intérieur de la table ſur des poulies de renvoi. Comme M. Kempelen a fait un ſecret de ſes moyens, & que tous les machiniſtes des boulevards emploient ce qu’on appelle un compère, pour faire les jeux qui paroiſſent les plus ſurprenans, & qu’il n’eſt perſonne qui, après un tâtonnement de quelque temps, ne puiſſe enfin faire l’équivalent de M. Kempelen ; nous ſommes autoriſés à croire que ſes moyens n’étoient pas entièrement mécaniques. En effet, en employant un levier à bras inégaux, dont la plus grande partie ſoit cachée derrière une cloiſon. On peut former un petit deſſein dans une ſalle, tandis que derrière la cloiſon une perſonne cachée fera paſſer l’extrémité du grand bras de lévier ſur une figure en grand. Ceux qui connoiſſent la manière de deſſiner avec un pantographe, n’en ſeront pas ſurpris ; on pourra donc faire indiquer au petit bras de lévier toutes les lettres propres à former la réponſe à une queſtion propoſée, lorſqu’on fera mouvoir le grand bras du lévier ſur un grand tableau caché derrière la cloiſon, & diviſé comme le petit tableau qui eſt devant les ſpectateurs : de cette manière tout s’explique facilement. Il étoit néceſſaire d’inſiſter un peu ſur cet objet, afin que le grand nombre de ceux qui cherchent des lumières dans un dictionnaire de phyſique apprenne à ne pas trouver du merveilleux dans des opérations qui dépendent en grande partie du charlataniſme ; & c’eſt être inſtruit, que de ſavoir ſe prémunir contre les erreurs & les illuſions.

Ce que nous venons de dire au ſujet du lévier ou du pantographe, nous ſervira à expliquer en partie, la cauſe qui faiſoit agir l’automate deſſinateur de M. Droz, dont on a fait mention ci-deſſus au haut de cet article. Mais j’y ajouterai qu’ayant bien examiné cette machine, je me ſuis aſſuré que c’étoit un automate propremens dit, qu’il contenoit en lui-même le principe de ſes mouvemens ; & que la machine étant montée, le mécanicien l’abandonnoit entièrement ; auſſi cet automate ne faiſoit-il qu’un ou deux deſſeins, & toujours les mêmes & de la même manière. Je lui ai vu faire, avec la plus grande préciſion