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BAG

un archer du guet avoit été tué à coups d’épée par des mouſquetaires ; Jacques Aymar paſſa deux ou trois fois ſur le lieu ſans que la baguette tournât ; il dit pour excuſe qu’elle ne tournoit que pour les aſſaſſinats prémédités & pour les vols, mais non pour les meurtres commis dans la colère ou dans l’yvreſſe, & que pour toute ſorte de crimes elle n’avoit point d’effet lorſque les coupables avoient tout avoué ; c’eſt pourquoi on le mena à la rue de la Harpe, dans une maiſon où il s’étoit fait un vol que l’auteur nioit conſtamment, quoiqu’il eut été ſurpris en flagrant délit, & qu’il fût chargé de pluſieurs dépoſitions ; la baguette y demeura immobile, & le payſan n’en put alléguer aucune raiſon ».

Les épreuves qu’on en fit enſuite à Verſailles & à Chantilly n’eurent pas plus de ſuccès ; & Jacques Aymar fut enſuite obligé d’avouer au prince de Condé que ſon prétendu talent n’étoit qu’une pure ſupercherie. M. le prince, pour détromper le public, permit que la lettre qu’on vient de rapporter fut inſérée dans le journal des ſavans de cette année. Mais la preuve ſuivante donne le complément à la démonſtration.

M. l’abbé Gallois convainquit d’impoſture, en préſence de l’académie des ſciences, Jacques Aymar : l’ayant mené dans la cour de la bibliothèque du roi, où l’académie tenoit alors ſes ſéances, il lui montra une bourſe de louis que M. de Colbert avoit remiſe pour cette épreuve ; il lui dit qu’il alloit la cacher dans le jardin. Après avoir remué la terre en quelqu’endroit, M. l’abbé Gallois vint rejoindre l’aſſemblée, & dit à Jacques Aymar qu’il pouvoit aller chercher dans la plate-bande qui venoit d’être labourée. Au bout de quelques temps de recherches, Jacques Aymar dit à l’aſſemblée que la bourſe étoit au pied du mur, du côté du cadran ; alors M. l’abbé Gallois qui, au lieu d’avoir enterré cette bourſe, l’avoit adroitement donné à un de ſes amis à garder, avant même d’entrer dans le jardin, afin d’ôter tout prétexte, la reprit & la montra à J. Aymar pour le convaincre de ſon impoſture ; ce charlatan confus, ſe retira auſſi-tôt, & retourna bientôt après à Saint-Veran, près de Saint-Marcellin, en Dauphiné.

Le père le Brun rapporte qu’en préſence de M. de la Hire, & de quelques autres phyſiciens, on amena un jeune homme qu’on diſoit avoir fait des expériences devant le père la Chaiſe, pour diſcerner avec la baguette les vraies médailles d’avec les fauſſes. Il prit une baguette fourchue ; M. de la Hire lui tint une main & le père le Brun l’autre ; & quoiqu’ils fuſſent dans l’endroit même où toutes les eaux d’Arcueil paſſent, & immédiatement ſur un tuyau de cent pouces d’eau, la baguette reſta conſtamment immobile. On cacha enſuite diverſes pièces d’argent & de cuivre ; on remua, après cette opération, la terre en pluſieurs endroits où il n’y avoit rien pour lui donner le change. M. de la Hire fit paſſer le petit garçon ſur tous ces endroits ; mais la baguette ne tourna nulle part.

Par-tout où des perſonnes qui ne ſeront pas imbues des préjugés, feront répéter ces ſortes d’épreuves, on ſera convaincu que ceux qui font tourner la baguette ſont des impoſteurs, & ceux qui y croient des dupes. Pour détromper les gens crédules qui ſont par-tout en grand nombre, j’ai fait faire beaucoup de ces prétendues expériences, & toujours j’ai été aſſez heureux pour démaſquer le charlataniſme & l’impoſture. Quelquefois j’ai trouvé des gens de la campagne qui, par le motif d’un intérêt pécuniaire, cherchoient à faire des dupes ; d’autres fois des perſonnes riches, qui croyoient obtenir une ſorte de petite célébrité, ou qui vouloient paſſer quelques momens agréables en faisant illuſion ; rarement j’ai vu des gens de bonne foi, qui par un mouvement muſculaire qu’ils croyoient n’être pas volontaire, imprimoient un mouvement de rotation à la baguette, & ſe perſuadoient qu’il ne dépendoit pas d’eux, tant l’imagination eſt capable de ſéduire l’homme même vertueux. Afin de mieux expliquer ma penſée, je vais dire quelques mots ſur le procédé qu’on emploie pour faire tourner la baguette, procédé bien propre à en impoſer à la multitude qui a des yeux & qui ne voit pas.

La baguette dont on ſe ſert eſt ordinairement fourchue, & de la figure d’un Y : cela ſuppoſé, on la tient fortement par les deux extrémités, entre les deux mains, la paume de la main étant tournée en haut ; je réuſſis mieux encore, en ne ſerrant chaque bout qu’avec l’index & les deux doigts ſuivans de chaque main, le petit doigt plié étant en deſſous de la baguette. Dans cette poſition, on éprouve que le mouvement de preſſion des muſcles des trois doigts fait tourner facilement la baguette, en y ajoutant un tour de poignet qui paroît imperceptible aux yeux les plus attentifs, mais le mouvement de la partie inférieure de l’Y devient très-marqué, & d’autant plus ſenſible qu’il eſt plus éloigné du centre de mouvement, à-peu-près comme dans le mouvement de rotation d’un levier ; la portion qui eſt voiſine du point d’appui ne paroît pas ſe mouvoir, tandis que celle qui en eſt très-éloignée a un mouvement conſidérable. Le principe de ce mouvement dépend donc totalement de la dispoſition forcée du ſyſtème muſculaire du bras & du poignet qui tend en ſe redreſſant à ſe remettre dans ſon état naturel. En écartant enſuite un peu les deux coudes, & les deux branches de la baguette, & continuant à ſerrer également dans les deux mains, on force la partie inférieure de la baguette fourchue à faire un mouvement de rotation, qui aura lieu, même quand une perſonne tiendroit le poignet du ſourcier ; un