Page:Encyclopédie méthodique - Physique, T1.djvu/678

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les ſubſtances minérales, il forma cinq monumens principaux ; & préſent à tout, marchant d’une de ces baſes vers l’autre, calculant leur ancienneté, meſurant leurs intervalles, il aſſigna aux révolutions leurs périodes, aux mondes ſes âges, à la nature ſes époques ».

Pendant que M. de Buffon voyoit chaque jour à Paris ſa réputation s’accroître, un ſavant[1] méditoit à Upſal le projet d’une révolution dans l’étude de la nature. Ce ſavant avoit toutes les qualités néceſſaires au ſuccès des grands travaux. Il dévoua tous ſes momens à l’obſervation ; l’examen de vingt mille individus ſuffit à peine à ſon activité. Il ſe ſervit, pour les claſſer, de méthodes qu’il avoit inventées ; pour les décrire, d’une langue qui étoit ſon ouvrage ; pour les nommer, de mots qu’il avoit fait revivre, ou que lui-même avoit formés. Ses termes furent jugés biſarres ; on trouva que ſon idiôme étoit rude ; mais il étonna par la préciſion de ſes phraſes ; il rangea tous les êtres ſous une loi nouvelle. Plein d’enthouſiaſme, il ſembloit qu’il eût un culte à établir, & qu’il en fût le prophête. Avec tant de ſavoir & de caractère, Linnée s’empara de l’enſeignement dans les écoles ; il eut les ſuccès d’un grand profeſſeur ; M. de Buffon a eu ceux d’un grand philoſophe ». Plus juſte, M. de Buffon auroit profité des recherches de ce ſavant laborieux. Ils vécurent ennemis, parce que chacun d’eux regarda l’autre comme pouvant porter quelque atteinte à ſa gloire.

M. de Buffon, pour obtenir des réſultats nouveaux ſur les progrès de la chaleur, plaça d’énormes globes de métal dans des fourneaux immenſes. Il s’eſt appliqué à la ſolution des queſtions les plus importantes à la fonte des grandes pièces d’artillerie, & s’eſt efforcé de donner plus de perfection aux fers des charrues.

Il s’étoit permis de plaiſanter ſur une lettre dont il ignoroit alors que M. de Voltaire fût l’auteur. Auſſi-tôt qu’il l’eût appris, il déclara qu’il regrettoit d’avoir traité légèrement une des productions de ce grand homme ; & il joignit à cette conduite généreuſe un procédé délicat, en répondant avec beaucoup d’étendue aux faibles objections de M. de Voltaire, que les naturaliſtes n’ont pas même jugées dignes de trouver place dans leurs écrits. On connoît ſon diſcours de réception à l’Académie françoiſe, & ſa réponſe à M. de la Condamine, où il le peignit voyageant ſur ces monts ſourcilleux que couvrent des glaces éternelles, dans ces vaſtes ſolitudes, où la nature accoutumée au plus profond ſilence, dut être étonnée de s’entendre interroger pour la première fois. L’auditoire fut frappée de cette grande image, & demeura pendant quelques inſtans dans le recueillement, avant que d’applaudir.

Parmi les monumens dont la capitale s’honore, il en est un que la munificence des rois conſacre à la nature, où les productions de tous les règnes ſont réunies, où les minéraux de la Suède & ceux du Potoſe, où le renne & l’élephant, le pingoin & le kamichi ſont étonnés de ſe trouver enſemble ; c’eſt M. de Buffon qui, riche des tributs offerts à ſa renommée par les ſouverains, par les ſavans, par tous les naturaliſtes du monde, porta ces offrandes dans les cabinets confiés à ſes ſoins. La même magnificence ſe déploie dans les jardins. L’école, l’amphithéâtre, les ſerres, les végétaux, l’enceinte elle-même, tout y eſt renouvelé, tout s’y eſt étendu, tout y porte l’empreinte de ce grand caractère qui, repouſſant les limites, ne ſe plut jamais que dans les grands eſpaces, & au milieu des grandes conceptions.

Pluſieurs ont trouvé que le ſtyle de M. de Buffon n’étoit pas toujours au niveau de ſon ſujet, ni auſſi varié que les modèles qu’il vouloit peindre ; d’autres lui ont reproché de l’emphaſe. Il y en a qui l’ont accuſé d’avoir fait le roman plutôt que l’hiſtoire de la nature ; ils ont prétendu qu’il y a dans ſes ouvrages beaucoup de faits haſardés, dont l’imagination ſeule de l’auteur étoit le garant. Sans doute ces critiques ſont beaucoup trop ſévères. Mais on lui doit cette juſtice, qu’on ne l’a jamais vu figurer dans ces combats déshonorans pour les ſavans & pour les lettres, & il n’oppoſa conſtamment à ſes détracteurs, qu’un généreux ſilence, de bonnes mœurs, & ſes ouvrages. Il penſoit, avec d’Alembert, que ces trois armes ſont les plus efficaces qu’on puiſſe oppoſer à l’envie.

M. de Buffon mourut au mois d’Avril 1788. À l’ouverture de ſon corps, on trouva cinquante-ſept pierres dans ſa veſſie. Il fut inhumé à Montbard, dans une chapelle qu’il avoit fait conſtruire lui-même, trente ans auparavant, en diſant alors aux ouvriers : Faites cet endroit ſolide, je ſerai là plus long-temps qu’ailleurs.


Fin de la ſeconde Partie du Tome premier.



Des Imprimeries de L. P. Couret, & de Demonville,

rue Chriſtine, nos. 2 & 12. 1792.

  1. Linnée.