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puissance invisible qui gouverne l’univers. Le druide inspiré les trouva dévoués et dociles. Prêtre, son pouvoir était grand ; homme, son ambition n’était point satisfaite. Il appela à son secours la superstition et le fanatisme ; on le prit lui-même pour un dieu. Pour persuader les hommes, il ne pouvait créer la vie, mais il pouvait donner la mort ; et, mêlées à de vils animaux, des victimes humaines, frappées du couteau sacré, vinrent ensanglanter les autels.

Seuls ils avaient gouverné les hommes, mais des chefs guerriers et des rois voulurent gouverner à leur tour. Il fallut faire alliance et partager le pouvoir. Les rois dirent aux prêtres : Annoncez les dieux aux peuples, et nous vous donnerons une part des dépouilles. Les prêtres répondirent aux rois : Partagez avec nous, et nous dirons aux peuples que les dieux ont fait les rois.

D’autres prêtres, en annonçant d’autres dieux, tinrent le même langage, car ils avaient le même intérêt.

Mais pourquoi, dans les temps modernes, une religion véritable et sainte a-t-elle dû éprouver aussi la cupidité de quelques hommes ? L’intolérance, la superstition, le fanatisme, ont tenté de travestir la pureté de la morale évangélique. On sait ce que Charlemagne, Philippe-Auguste, saint Louis et Philipjpe-Ie-Bel ont fait pour réprimer les abus du clergé. « Vous n’avez pas le droit, écrivait au dernier de ces rois l’orgueilleux Boniface VIII, de conférer des bénéfices, car vous nous êtes aussi soumis pour le temporel ; et ceux qui croiront autrement seront réputés hérétiques. » — « Nous en avons le droit, répondit Philippe, et ceux qui


croiront autrement seront réputés fous et insensés. »

Tantôt le zèle religieux fait exterminer tous les juifs de l’Alsace ; en vain Louis de Bavière veut les protéger, sa dévote épouse lui fait servir de la viande un jour de jeûne. « Puisque les juifs sont vos frères, lui dit-elle avec indignation, vivez comme les juifs sans respect pour les lois de l’église. » — « Tantôt, abusant de la faiblesse d’un jeune prince, on épouvante l’univers par l’horrible massacre de la Saint-Barthélemi.

Ici, Philippe-le-Long chasse les Israélites de France pour avoir empoisonné les fontaines publiques ; là, Louis XI, aussi superstitieux que cruel, passe un contrat avec la vierge Marie, au sujet du droit et du titre de foi et hommage du comté de Boulogne.

Quel rapport peuvent avoir ces horreurs avec les principes de l’Évangile et la morale de Jésus-Christ ? Et si l’on abuse à ce point des choses les plus sacrées, de quoi n’abusera-t-on pas sur la terre ?

Princes et nobles ont-ils fait mieux ? Il fut un temps à Rome où avec de l’or on se faisait empereur ; qu’était l’autorité du sénat, et celle du peuple lui-même, lorsqu’un seul homme, dont les largesses avaient séduit le soldat, était à la fois tribun, proconsul, censeur, grand pontife et consul, s’il le voulait encore ? Lorsque, pouvant à lui seul accuser, juger, faire traîner au supplice l’innocent et le coupable, il s’embarrassait peu que sa puissance parût injuste et oppressive ?

Sage et économe, un empereur redoutait les soldats avides qui juraient sa mort et désignaient son successeur parmi les plus riches. Oppresseur et