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Page:Encyclopedie Catholique - T14-LO-NYS.djvu/157

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MAL. (153) MAL.


C’est donc la nature armée de ses lois, c’est l’ordre même qui châtie le coupable dans son corps et dans son âme dans le corps par la maladie, la douleur et la mort prématurée, dans l’âme par la souffrance, les chagrins, le remords, l’ignorance, l’erreur, la convoitise, les désirs trompés, etc. ; avant le péché, rien de. tout cela n’existait, et tout cela est justice, sagesse, depuis le péché. Ce n’est pas assez dire ; le mal physique qui atteint les coupables est un grand bien, parce qu’ilIl est un puissant moyen de prévenir, d’expier et de réparer le péché même il n’est pas seulement la sanction de l’ordre moral, mais encore il s’harmonise merveilleusement avec lui. Il est la source féconde des vertus les plus parfaites et le principe du mérite la compassion, la charité, le dévouement seraient impossibles s’il n’y avait ni douleur à soulager, ni pauvres à secourir, ni ignorants à instruire, ni malheureux à consoler, à servir, à sauver des périls qui les menacent. Il n’y aurait plus de place sur la terre ni dans le cœur de l’homme pour le courage, la résignation, l’héroïsme, si le mal ne régnait pas en ce monde. Quoi de plus grand, de plus digne d’admiration que le juste aux prises avec l’adversité ? Si tout ici-bas était jouissance et délices pour l’homme même coupable, il se persuaderait facilement que cette terre d’exil est sa patrie, que ces jouissances sont tout son bonheur ; il oublierait sa véritable fin, se fixerait dans le mal, ne penserait plus ni à rentrer dans la voie du devoir, ni à se préparer par la vertu une autre gloire, d’autres richesses, d’autres joies que cellesdu temps. L’hommeperdrait donc en vertus, en mérites, en grandeur dans l’ordre moral ce qu’il gagneraiten bien-être dans l’ordre physique.Résumons l°L’homme souffre parce qu’il est une créature imparfaite, bornée dans toutes les parties de son être, et incapable par-là même de jouir ici-bas d’un bonheur pur et sans mélange ; il faudrait, pour qu’il en fùt autrement, que Dieu dérogeât sans cesse aux lois générales de la nature. 2° La foi enseigne que, dans le principe, Dieu avait réellement dérogé à ces lois et accordé à l’homme avec la grâce et l’innocence l’heureux privilège de ne point souffrir, d’être exempt de toutes les misères attachées à sa condition d’homme. 3° Il est aussi de foi que l’homme est déchu, par sa faute, de cet état d’innocence, qu’il s’est privé lui-mème de ce bonheur en se dépouillant de la grâce qui en était la source il ne souffre donc que parce qu’il est coupable, que parce qu’il l’a voulu, et les descendants du premier coupable ne souffrent eux-mêmes que parce qu’ils naissent privés de la grâce que Dieu ne doit à personne ; ils ne souffrent que les maux dont leur condition naturelle est le principe et par conséquent l’explication. 4° Les coupables ne souffrent que parce que l’ordre physique étant la sanction de l’ordre moral auquel il est subordonné, tout crime place son auteur sous le coup des lois immuables de la nature, et la nature, fatalement soumise à Dieu, est toujours armée du glaive inexorable de la douleur pour venger son maître, pour rétablir l’ordre moral ; cependant, elle est, non pas le bourreau qui tue, mais le sage médecin qui ne porte le fer et le feu dans les plaies que pour guérir, qui ne retranche les parties malades que pour sauver le corps entier elle ne sévit contre un individu que pour prévenir la perte de plusieurs ; elle ne frappe le corps que pour guérir l’âme elle n’afflige l’âme que pour la ramener dans la voie. Le plus souvent donc l’homme ne doit accuser que lui-mème de ses malheurs ; il ne peut les imputer qu’à la sagesse et à la miséricordieuse bonté de Dieu s’il était plus modéré dans ses désirs, plus raisonnable, plus sage dans ses projets, plus soumis aux lois de sa nature, plus sobre, plus tempérant, plus ami de lui-même, plus ennemi des voluptés et des vices qui énervent le corps dans la même proportion qu’ils dégradent l’âme, il verrait disparaître la plupart des maux qui l’accablent. S0Enfin, si vous ôtez le mal physique, qui est tout a la fois le juste châtiment et le remède le plus efficace du péché, l’ordre moral est livré aux caprices des coupabtes, menacé d’une ruine totale parce qu’il n’a plus de sanction suffisante ; au contraire, laissez subsister la souffrance, et l’ordre moral subsiste lui-mème dans toute sa beauté, parce que le malheur porte les coupables au repentir, contribue puissamment à développer dans l’homme toutes les belles qualités de l’esprit et du cœur, à l’élever au plus haut point d héroïsme, à épurer, à perfectionner la vertu du juste à lui donner plus d’éclat et de mérite, à faire naitre des vertus nouvelles qui sont comme la mesure de notre grandeur morale. Concluons donc avec Leibnitz, que « permettre le mal, comme Dieu le permet, c’est la plus grande bonté Si mala sustulerat non erat ille bonus. »

T. XIV.

Du reste, ajoutons-nous avec M. Frayssinous, « Prenons garde de nous tromper sur le bonheur. On n’est heureux ni par la fortune, ni par les dignités, ni par le savoir, ni par les plaisirs du monde, ni par la solitude ; mais on est heureux par le témoignage d’une conscience sans reproche c’est là que se trouvent la paix- lé plaisir solide de l’âme, le bonheur et dans cette matière, nos écrivains sacrés se sont montrés bien plus éclairés <Jl»etous les sages de l’antiquité. Ce bonheur est au pouvoirde tous, et il n’est au pouvoirde personne de nous le ravir ; il est indépendant de tous les accidents de la vie humaine ; il reste dans nous quand tout périt autour de nous. L’homme vertueux peut bien souffrir, mais, dans le calme de son âme pure, il ne voudrait pas changer sa destinée contre celle des méchants qui sembleraient être les plus heureux des mortels ; et les chaines dont il pourrait être chargé lui seraient plus douces que toutes les couronnes du vice triomphant. » (Conf. T. I, sur la Provid. dans l’ordre moral.) La thèse que nous venons de soutenir a soulevé bien des objections ; mais comme elles s’attaquent presque toutes à la distribution inégale des biens et des maux, et que la solution de ces difficultésse déduit des principes que nous allons poser sur la nature, la possibilité et l’existence du mal moral, nous renvoyons à la IIIe partie de notre travail l’exposé de ces objections et de nos réponses. D’ailleurs, quoique le mal physique ait, en droit, la raison de son existence dans l’imperfection native et nécessaire des créatures et de l’homme en particulier, comme, en fait, il n’existe que par suite du mal moral dont il est la punition et le remède, son existence sous un Dieu divinement bon et sage ne s’explique avec une clarté parfaite que par le péché qui n’est pas seulement une imperfection ou un moindre bien, mais un mal réel, positif, effectif, absolu, le seul mal proprement dit ; toutes les obscurités, les difficultés du problème complexe qui nous occupe, se concentrent donc en un seul point, l’existence du mal moral qui est le dernier des quatre termes de ce problème. 6° Le mal du péché est-il une créature de Dieu ? a-t -il du moins le fondement de sa possibilité en Dieu ? Comment peut-on expliquer son origine et concilier le fait de son existence avec la notion de Dieu ? On a imaginé bien des systèmes, bien des hypothèses pour porter en Dieu sinon le péché même ou sa cause efficiente, du moins la raison première de sa possibilité. Les panthéistes qui n’ont pas nié absolument l’existence du mal, ont soutenu que le mal même du péché n’étant que l’opposé du bien, que le monde et tous les êtres qu’il renferme n’existant et ne vivant que par l’opposition, les deux termes de cette opposition, le mal et le bien, sont également nécessaires, également produits parlaa cause première ; que Dieu voulant faire le monde, ne pouvait pas plus le produire sans le mal proprement dit, que le peintre ne pourrait faire un tableau sans ombre ; que le mal n’est que l’ombre de Dieu comme le bien est son image, tombées l’une et l’autre dans le fini et soumises aux conditions de l’espace et du temps, etc. nous ne perdrons pas le temps à réfuter de si éblouissantes absurdités exposons simplement nos réponses aux questions qui viennent d’être posées. D’abord le mal, comme tel, n’est pas créature de Dieu Dieu est le bien absolu, infini ; or, le bien absolu ne peut pas plus produire le mal que la lumière ne peut répandre les ténèbres l’ètre ne produit pas le néant, ni la vérité l’erreur, ni l’ordre le désordre, ni la sainteté le péché ce serait une contradiction dans les termes. Le péché en tant que péché n’est pas une substance, il n’y a pas de mal moral objectif ; nous l’avons démontré. Quand donc l’intelligence trompée d’une créature et sa volonté séduite se décident pour le mal, elles s’éloignent du vrai et du bien, elles se privent d’une portion d’être, d’une perfection, d’une réalité, elles descendent vers le néant par un acte désordonné, et ce qu’il y a de positif dans cet acte n’est pas mauvais en soi, et ce qui est mauvais n’est nullement imputable à Dieu, parce qu’il n’a pas et qu’il ne peut même pas avoir en Dieu la raison d’exister ou même d’ètre possible, comme nous le montrerons plus loin. On dit le mal moral n’est pas nécessaire en soi or, ce qui n’est pas nécessaire en soi ne peut exister que parce que Dieu le veut ou le permet ; ce mal n’existe donc que parce que Dieu l’a voulu ou permis. Dans le premier cas on nie, et dans le second on limite la bonté divine. Les disciples d’Epicure ajoutent si le mal moral est une suite nécessaire de la liberté, Dieu qui a fait les êtres libres, est la vraie cause du mal ; si, au contraire, ce mal ne suit pas nécessairement de la liberté, ou bien Dieu n’avait pas prévu ce mal, et il manque de sagesse ou bien il l’a prévu, mais il n’a pu l’empècher, et alors 20