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Histoire d’un paysan.

« Tiens, Marguerite, voilà comme le roi connaît les paysans : c’est là qu’il les a vus. » (Page 147.)
« Tiens, Marguerite, voilà comme le roi connaît les paysans : c’est là qu’il les a vus. » (Page 147.)

père fait bien de te pousser dans l’épicerie ; c’est un article qui ne reste jamais, il faut toujours du poivre, de la chandelle, de l’huile, et pourvu qu’on achète bien, on est sûr de revendre. »

Mouton marchait devant nous, et nous entrions alors dans une de ces petites auberges où l’on prend du vin, de l’eau-de-vie et de la bière sur le comptoir : les gens entraient et sortaient ; quelques étrangers seuls, à leur table, cassaient une croûte de pain, en mangeant de la friture. Mouton voulut se lâcher jusqu’à nous payer une omelette au lard, avec du vin de Toul, ce que maître Jean, en homme d’âge, ne pouvaient pas permettre ; c’est lui qui paya tout et qui fit même encore à la fin apporter le café.

Naturellement on parlait des affaires de Nancy ; Mouton s’écriait :

« Quel malheur que je n’aie pas vu ça ! Le patron est sergent-major dans sa compagnie ; c’est un être rempli d’ambition, qui m’a laissé sa boutique sur le dos, pour aller faire le brave là-bas. Encore s’il s’était fait casser une patte, cela me consolerait un peu ; mais je le connais, il aura crié : « En avant ! » à l’abri des autres.

— Hé ! disait maître Jean, tu n’aurais vu que la gueuserie des nobles.

— Raison de plus, j’ai toujours détesté cette espèce de cadets, qui nous barrent l’avancement dans l’armée et nous forcent d’entrée dans l’épicerie pour espérer un avenir ; je les aurais pris encore plus en grippe, ça m’aurait

fait du bien ! »