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ROMANS NATIONAUX

Le dragon tomba comme une masse. {Page 6).


tais mon cœur se serrer et que je lui répondais : « Mais, monsieur Goulden, ils doivent être maintenant en Pologne, dans de bonnes casernes ; car de penser que des êtres humains puissent supporter un froid pareil, c’est impossible.

— Un froid pareil ! disait-il, oui, dans ce pays, il fait froid, très-froid, à cause des courants d’air de la montagne ; et pourtant qu’est-ce que ce froid auprès de celui du nord, en Russie et en Pologne ? Dieu veuille qu’ils soient partis assez tôt… Mon Dieu ! mon Dieu ! combien ceux qui conduisent les hommes ont une charge lourde à porter ! »

Alors il se taisait, et durant des heures je songeais à ce qu’il m’avait dit ; je me représentais nos soldats en route, courant pour se réchauffer. Mais l’idée de Catherine me revenait toujours, et j’ai pensé bien souvent depuis, que lorsque l’homme est heureux, le malheur des autres le touche peu, surtout dans la jeunesse, où les passions sont plus fortes, et où l’expérience des grandes misères vous manque encore.

Après les gelées, il tomba tellement de neige, que les courriers en furent arrêtés sur la côte des Quatre-Vents. J’eus peur de ne pouvoir pas aller chez Catherine le jour de sa fête ; mais deux compagnies d’infanterie sortirent avec des pioches, et taillèrent dans la neige durcie une route pour laisser passer les voitures, et cette route resta jusqu’au commencement du mois d’avril 1813.

Cependant la fête de Catherine approchait de jour en jour, et mon bonheur augmentait en