Page:Erckmann-Chatrian - Histoire d’un conscrit de 1813.djvu/113

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reposer nos pieds fatigués, moi surtout. Je ne puis pas dire que ma jambe me faisait mal, mais les pieds… Ah ! je n’avais jamais senti cette grande fatigue ! Avec notre billet de logement, nous avions le droit de nous asseoir au coin du feu ; mais les gens nous donnaient aussi place à leur table. Presque toujours nous avions du lait caillé et des pommes de terre, quelquefois aussi du lard frais, tremblotant sur un plat de choucroute. Les enfants venaient nous voir ; les vieilles nous demandaient de quel pays nous étions, ce que nous faisions avant de partir ; les jeunes filles nous regardaient d’un air triste, rêvant à leurs amoureux, partis cinq, six ou sept mois avant. Ensuite on nous conduisait dans le lit du garçon. Avec quel bonheur je m’étendais ! comme j’aurais voulu dormir mes douze heures ! Mais de bon matin, au petit jour, le bourdonnement de la caisse me réveillait je regardais les poutres brunes du plafond, les petites vitres couvertes de givre, et je me demandais : « Où suis-je ? » Tout à coup mon cœur se serrait ; je me disais : « Tu es à Bitche, à Kaiserslautern… tu es conscrit ! » Et bien vite il fallait m’habiller, reprendre le sac et courir répondre à l’appel.

« Bon voyage ! disait la ménagère éveillée de grand matin.