Page:Erckmann-Chatrian - Histoire d’un conscrit de 1813.djvu/115

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ce souvenir me restera dans l’esprit. Il faisait un froid terrible ; nous étions partis de grand matin, et, longtemps avant d’arriver à la ville, nous avions traversé des villages pleins de soldats : de la cavalerie et de l’infanterie, des dragons en petite veste, les sabots pleins de paille, en train de casser la glace d’une auge pour abreuver leurs chevaux ; d’autres traînant des bottes de fourrage à la porte des écuries ; des convois de poudre, de boulets en route, tout blancs de givre ; des estafettes, des détachements d’artillerie, de pontonniers allant et venant sur la campagne blanche, et qui ne faisaient pas plus attention à nous que si nous n’avions pas existé.

Le capitaine Vidal, pour se réchauffer, avait mis pied à terre et marchait d’un bon pas ; les officiers et les sergents nous pressaient à cause du retard. Cinq ou six Italiens étaient restés en arrière dans les villages, ne pouvant plus avancer. Moi, j’avais très chaud aux pieds à cause du mal ; à la dernière halte, c’est à peine si j’avais pu me relever. Les autres Phalsbourgeois marchaient bien.

La nuit était venue, le ciel fourmillait d’étoiles. Tout le monde regardait, et l’on se disait : « Nous approchons ! nous approchons ! » car au fond du ciel une ligne sombre, des points noirs