Page:Erckmann-Chatrian - Histoire d’un conscrit de 1813.djvu/126

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Chacun à son tour sortait des rangs, et recevait une giberne, un sabre, une baïonnette et un fusil. On se passait cela sur la blouse, sur l’habit ou la casaque ; nous avions la mine, avec nos chapeaux, nos casquettes et nos armes, d’une véritable bande de brigands. Je reçus un fusil tellement grand et lourd, que je pouvais à peine le porter, et comme la giberne me tombait presque sur les mollets, le sergent Pinto me montra la manière de raccourcir les courroies. C’était un brave homme.

Tous ces baudriers qui me croisaient la poitrine me paraissaient quelque chose de terrible, et je vis bien alors que nos misères n’allaient pas finir de sitôt.

Après les armes, un caisson s’avança, et l’on nous distribua cinquante cartouches par homme, ce qui n’annonçait rien de bon. Puis, au lieu de faire rompre les rangs et de nous renvoyer à nos logements, comme je le pensais, le capitaine Vidal tira son sabre et cria :

« Par file à droite… en avant… marche ! »

Et les tambours se mirent à battre.

J’étais désolé de ne pouvoir pas au moins remercier mes hôtes du bien qu’ils m’avaient fait ; je me disais : « Ils vont te prendre pour un ingrat ! » Mais tout cela ne m’empêchait pas de suivre la file.