Page:Erckmann-Chatrian - Histoire d’un conscrit de 1813.djvu/137

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

le 29e Bulletin, si terrible, n’avait dit que la vérité.

Ces histoires nous excitaient contre les Russes ; plusieurs disaient : « Ah ! pourvu que la guerre recommence bientôt ; ils en verront des dures, cette fois… ce n’est pas fini… ce n’est pas fini ! » Leur colère me gagnait moi-même, et quelquefois je pensais : « Joseph, est-ce que tu perds la tête maintenant ? Ces Russes défendaient leur pays, leurs familles, tout ce que les hommes ont de plus sacré dans ce monde. S’ils ne les avaient pas défendus, on aurait raison de les mépriser. »

En ce temps, il arriva quelque chose d’extraordinaire.

Vous saurez que Zébédé, mon camarade de lit, était le fils du fossoyeur de Phalsbourg, et que nous l’appelions quelquefois entre nous : « Fossoyeur. »De notre part cela ne lui faisait rien. Mais un soir, après l’exercice, comme il traversait la cour, un hussard lui cria :

« Hé ! Fossoyeur, arrive m’aider à traîner ces bottes de paille. »

Zébédé, s’étant retourné, lui répondit :

« Je ne m’appelle pas Fossoyeur, et vous n’avez qu’à porter vos bottes de paille vous-même ! Est-ce que vous me prenez pour une bête ? »