Page:Erckmann-Chatrian - Histoire d’un conscrit de 1813.djvu/16

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 Peut-être que notre garçon est prisonnier… Quand la paix sera faite, il reviendra… Combien sont revenus, qu’on croyait morts ! »Seulement la paix ne se faisait jamais ; une guerre finie, on en commençait une autre. Il nous manquait toujours quelque chose, soit du côté de la Russie, soit du côté de l’Espagne ou ailleurs ; — l’Empereur n’était jamais content.

Souvent, au passage des régiments qui traversaient la ville — la grande capote retroussée sur les hanches, le sac au dos, les hautes guêtres montant jusqu’aux genoux et le fusil à volonté, allongeant le pas, tantôt couverts de boue, tantôt blancs de poussière --, souvent le père Melchior, après avoir regardé ce défilé, me demandait tout rêveur :

« Dis donc, Joseph, combien penses-tu que nous en avons vu passer depuis 1804 ?

— Oh ! je ne sais pas, monsieur Goulden, lui disais-je, au moins quatre ou cinq cent mille.

— Oui… au moins ! faisait-il. Et combien en as-tu vu revenir ? »

Alors, je comprenais ce qu’il voulait dire, et je lui répondais :

« Peut-être qu’ils rentrent par Mayence, ou par une autre route… Ça n’est pas possible autrement ! »

Mais il hochait la tête et disait :