Page:Erckmann-Chatrian - Histoire d’un conscrit de 1813.djvu/168

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le colonel disait toujours : « Serrez les rangs ! », je compris que chaque fois il y avait un vide. Cette idée me troubla tout à fait, mais il fallait bien marcher.

Je n’osais penser à cela, j’en détournais mon esprit, quand le général Chemineau, qui venait d’entrer dans notre carré, cria d’une voix terrible :

« Halte ! »

Alors je regardai et je vis que les Russes arrivaient en masse.

« Premier rang, genou terre… croisez la baïonnette ! cria le général. Apprêtez armes ! »

Comme Zébédé avait mis le genou à terre, j’étais en quelque sorte au premier rang. Il me semble encore voir avancer en ligne toute cette masse de chevaux et de Russes courbés en avant, le sabre à la main, et entendre le général dire tranquillement derrière nous comme à l’exercice :

« Attention au commandement de feu. — Joue… Feu ! »

Nous avions tiré, les quatre carrés ensemble ; on aurait cru que le ciel venait de tomber. À peine la fumée était-elle un peu montée, que nous vîmes les Russes qui repartaient ventre à terre ; mais nos canons tonnaient, et nos boulets allaient plus vite que leurs chevaux.