Page:Erckmann-Chatrian - Histoire d’un conscrit de 1813.djvu/196

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de musique terrible et qui s’entendait de bien loin.

Au milieu des cris, des commandements et de la fusillade, nous recommencions tout de même à redescendre sur un tas de morts. Nos premières divisions rentraient à Klein-Gorschen ; on s’y battait corps à corps, on ne voyait dans la grande rue du village que des crosses de fusil en l’air, et des généraux à cheval, l’épée à la main comme de simples soldats.

Cela dura quelques minutes ; nous disions dans les rangs : « Ça va bien ! ça va bien !… on avance. » Mais de nouvelles troupes étant arrivées du côté des Prussiens, nous fûmes obligés de reculer pour la seconde fois, et malheureusement si vite qu’un grand nombre se sauvèrent jusque dans Kaya. Ce village était sur la côte, et le dernier en avant de la route de Lutzen. C’est un long boyau de maisons séparées les unes des autres par de petits jardins, des écuries et des ruchers. Si l’ennemi nous forçait à Kaya, l’armée était coupée en deux.

En courant, je me rappelai ces paroles de M. Goulden : « Si par malheur les alliés nous battent, ils viendront se venger chez nous de tout ce que nous leur avons fait depuis dix ans. » Je croyais la bataille perdue, car le maréchal Ney lui-même, au milieu d’un carré, reculait,