Page:Erckmann-Chatrian - Histoire d’un conscrit de 1813.djvu/213

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l’établi, tout rêveur. Mon âme était là-bas avec eux ; elle attendait en quelque sorte devant la poste avec la tante Grédel, elle retournait au village abattue, elle voyait Catherine dans la désolation.

Puis, un matin, le facteur Rœdig passait aux Quatre-Vents, avec sa blouse et son petit sac de cuir ; il ouvrait la porte de la salle et tendait un grand papier à la tante Grédel, qui restait toute saisie, Catherine debout derrière elle, pâle comme une morte : et c’était mon acte de décès qui venait d’arriver ! J’entendais les sanglots déchirants de Catherine étendue à terre, et les malédictions de la tante Grédel — ses cheveux gris défaits --, criant qu’il n’y avait plus de justice… qu’il vaudrait mieux pour les honnêtes gens n’être jamais venus au monde, puisque Dieu les abandonne ! — Le bon père Goulden arrivait pour les consoler ; mais, en entrant, il se mettait à sangloter avec elles, et tous pleuraient dans une désolation inexprimable, criant :

« O pauvre Joseph ! pauvre Joseph ! »

Cela me déchirait le cœur.

L’idée me vint aussi que trente ou quarante mille familles en France, en Russie, en Allemagne, allaient recevoir la même nouvelle, et plus terrible encore, puisqu’un grand nombre des