Page:Erckmann-Chatrian - Histoire d’un conscrit de 1813.djvu/224

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cheval près de nous, causaient de la bataille, fumaient et riaient sans nous regarder. C’est en traversant Kaya que je vis toutes les horreurs de la guerre. Le village ne formait qu’un monceau de décombres. Les toits étaient tombés; les pignons, de loin en loin, restaient seuls debout; les poutres et les lattes étaient rompues; on voyait, à travers, les petites chambres avec leurs alcôves, leurs portes et leurs escaliers. De pauvres gens, des femmes, des enfants, des vieillards, allaient et venaient à l’intérieur tout désolés; ils montaient et descendaient comme dans des cages en plein air. Quelquefois, tout au haut, la cheminée d’une petite chambre, un petit miroir et des branches de buis au-dessus montraient que là vivait une jeune fille dans les temps de paix. Ah ! qui pouvait prévoir alors qu’un jour tout ce bonheur serait détruit, non par la fureur des vents ou la colère du ciel, mais par la rage des hommes, bien autrement redoutable ! Il n’y avait pas jusqu’aux pauvres animaux qui n’eussent un air d’abandon au milieu de ces ruines. Les pigeons cherchaient leur colombier, les bœufs et les chèvres leur étable; ils allaient déroutés par les ruelles, mugissant et bêlant d’une voix plaintive. Des poules perchaient