Page:Erckmann-Chatrian - Histoire d’un conscrit de 1813.djvu/231

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Si l’on nous donnait tous les jours une bouteille de rikevir, nous serions bientôt guéris; mais c’est plus commode de nous démolir l’estomac avec une poignée de mauvaise herbe bouillie dans de l’eau que de nous apporter du vin blanc d’Alsace. » Quand j’avais peur à cause de la fièvre et de ce que je voyais, il prenait des airs fâchés et me regardait avec ses grands yeux, en disant : « Joséphel, est-ce que tu es fou d’avoir peur ? Est-ce que des gaillards comme nous autres peuvent mourir dans un hôpital ? Non... non... ôte-toi cette idée de la tête. » Mais il avait beau dire, tous les matins les médecins, en faisant leur ronde, en trouvaient sept ou huit de morts. Les uns attrapaient la fièvre chaude, les autres un refroidissement, et cela finissait toujours par la civière, que l’on voyait passer sur les épaules des infirmiers ! — de sorte qu’on ne savait jamais s’il fallait avoir chaud ou froid pour bien aller. Zimmer me disait : « Tout cela, Joséphel, vient des mauvaises drogues que les médecins inventent. Vois-tu ce grand maigre ? Il peut se vanter d’avoir tué plus d’hommes que pas une pièce de campagne; il est en quelque sorte toujours chargé à mitraille,