Page:Erckmann-Chatrian - Histoire d’un conscrit de 1813.djvu/271

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Que voulez-vous, jeune homme ! me dit-il en allongeant le pas pour rejoindre les camarades, à la guerre comme à la guerre… On ne peut pas se laisser dépérir ! » Je crois qu’il serait resté, sans la peur d’être pris. Moi, j’étais triste et je me disais : « Voilà bien les ivrognes ! ils peuvent avoir de bons mouvements, mais la vue d’une cruche de vin leur fait tout oublier. » Enfin, vers dix heures du soir, nous découvrîmes deux feux de bivac sur une côte sombre, à droite du village de Gauernitz et d’un vieux château, où brillaient aussi quelques lumières. Plus loin, dans la plaine, tremblotaient d’autres feux en plus grand nombre. La nuit était claire. Les grandes pluies avaient essuyé le ciel. Comme nous nous approchions du bivac, on nous cria : « Qui vive ! — France ! » répondit le fourrier. Mon cœur battait avec force, en pensant que dans quelques minutes j’allais revoir mes vieux camarades s’ils étaient encore de ce monde. Des hommes de garde s’avançaient déjà d’une espèce de hangar, à demi-portée de fusil du village, pour venir nous reconnaître. Ils arrivèrent près de nous. Le chef du poste, un vieux sous-lieutenant tout gris, le bras en écharpe sous